Où allons-nous ? Dans le sud de la France, en Occitanie
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Bienvenue dans la famille Stradavine. Vous y rencontrerez la grand-mère russe, Violette (que l’on appelle plutôt Babulya), le pilier de la famille. C’est elle qui a élevé Henri, Camille et Alice au décès de leurs parents alors qu’ils étaient encore très jeunes.
Henri, l’ainé est un homme méticuleux et très organisé. Depuis quelques années, il partage sa vie avec Renata, psychologue de profession. Ils vivent à Montpellier.
Ensuite, il y a Camille, le benjamin dont l’adolescence a été très tumultueuse. Camille est célibataire, il habite toujours chez sa grand-mère. Après des années de lycée rebelles, il exerce aujourd’hui le métier de paysagiste pour le compte de la mairie d’Anduze, dans le Gard.
Enfin, nous rencontrons Alice la cadette, belle et survoltée avec un tempérament de feu et qui travaille dans le milieu de la publicité. Elle vit en colocation à Perpignan avec Léonore. Alice préfère partager sa couette avec la gent féminine, mais Léo, quant à elle, elle ne va pas rester longtemps insensible aux charmes de Camille, le frère cadet…
Toute la famille a pour habitude de se retrouver chaque année pour fêter Pâques ensemble. Malgré leurs nombreuses années de concubinage, Renata n’a pas encore souhaité rencontrer le clan Stradavine, mais cette année, elle prend sur elle, car Henri a largement insisté au sujet de sa participation : Babulya serait en train de perdre la boule et son chéri souhaite l’avis médical de sa psy préférée. Quant à Léo, ses relations familiales sont extrêmement tendues avec ses parents bourgeois et puants qui veulent absolument qu’elle aille se faire refaire le nez… Elle décide donc de suivre Alice et de passer le weekend avec elle et la tribu Stradavine.
À mon humble avis :
Dès le titre, on se doute d’ores et déjà que ce mélange de tempéraments va créer une ambiance détonante, voire explosive. « C’était pas censé se passer comme ça » serait un roman qui ferait une excellente adaptation au cinéma. En un mot, je me suis délectée de l’humour souvent caustique d’Ève Borelli. Je la lisais ici pour la première fois et je peux vous assurer que ce ne sera pas la dernière fois. Ça claque, ça swingue - parfois à la frontière du burlesque- mais on avale les pages à la vitesse grand V. Pas le temps de s’ennuyer ou de souffler. La cadence soutenue est donnée par l’auteure et il faut réussir à la suivre.
À mes yeux, nous sommes ici dans une pure comédie à la française, avec des personnages qui semblent inébranlables, installés dans leur zone de confort quotidienne jusqu’à ce que le masque des apparences commence à se fissurer, jusqu’à craquer. Certains de leurs actes pourront paraitre démesurés, mais comme on dit en France : « Aux grands maux, les grands remèdes ! ». Et finalement, dans cette famille, tout le monde semble décidé à guérir, une bonne fois pour toutes.
Ce qui fait la différence :
Eve Borelli instaure une ambiance pittoresque, à la fois slave et sudiste, dans son roman. Nous sommes dans le sud de la France, mais dans une famille qui, grâce à Mamouchka, a conservé ses us et coutumes russes. Des cocottes en papier aux plats culinaires, en passant par le verre de vodka en guise de bienvenue, ou les expressions russes que vous trouverez dans le texte, votre immersion dans le monde des Stradavine sera totale !
Parlons une fois encore de l’humour décapant de l’auteure, car dans ce roman, vous en aurez à revendre. Par exemple, lorsque Renata se parle à elle-même, elle s’adresse à son « Freud intérieur », mais ce dernier ne calme en rien son mental.
« « Méfiez-vous des mamies. Avec leurs petites mines fripées, leurs tricots faits main et leurs sourires édentés et affables, ces vieilles dames ont un pouvoir supérieur : celui d’inspirer confiance et donc, de tirer les vers du nez de n’importe qui. Elles sont redoutables. Redoutables. Un jour, elles domineront le monde. » Mon Freud intérieur. »P.119
Cette écorchée vive, qui, tous les jours, s’évertue à soigner l’état psychologique perturbé de ses patients, a, vis-à-vis d’elle-même, du pain sur la planche. Entre sa difficulté à s’installer paisiblement dans sa vie de couple et son blocage obsessionnel au sujet d’une potentielle future grossesse, elle apporte beaucoup à l’univers des Stradavine.
« La culpabilité m’étreint à nouveau. Comment réagira-t-il quand je lui annoncerai la terrible nouvelle de mon non-désir-d’enfant ? Peut-être qu’il fera semblant de se montrer détaché… ou qu’il ne cachera pas sa déception. Il pourrait partir en claquant la porte, lassé de mes tergiversations et de mes peurs, ou essayer de me convaincre en m’exhortant à dépasser mes traumatismes. Dieu tout-puissant… Tentera-t-il de me psychanalyser ? » P.49
Quant à Léo, entre ses références à Cyrano (à cause de son nez qui serait soi-disant trop long, dixit ses parents) et au monde merveilleux de Disney auquel elle ne peut s’empêcher de faire référence dans un coin de sa tête, elle nous offre de purs instants toniques et piquants !
« ̶ Excroissance ? Presqu’île ? Protubérance ? complété-je d’une voix hystérique. Cette CANNE ? Vodka ? Bouffée de chaleur à cause du radiateur qui tourne à plein régime juste à côté de moi ? Rage refoulée qui explose comme un geyser trop longtemps contenu ? J’ai l’impression de me transformer en Jafar quand il devient Génie du mal lorsque je conclus dans une envolée jubilatoire :
̶ MAMAN ? TU SAIS QUOI ? VA TE FAIRE CUIRE UN PUTAIN D’ŒUF AU PÔLE NORD ! » P.43
Bref, vous l’aurez compris, j’ai passé un excellent moment en compagnie des Stradavine (qui m’ont un peu rappelé la Famille Malaussène de Daniel Pennac), et même si au départ, C’était pas censé se passer comme ça, au final, dans la vie, il faut s’attendre à tout!
Bravo à l’auteure et belle lecture à vous.
240 pages/ octobre 2019 / Éditions Harlequin
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