Diadié Dembélé est un écrivain d'origine malienne. Diplômé de l'Université de Paris VIII, il travaille en tant qu’interprète, en France, pour une association d'aide aux migrants. Après Les tresses royales (en 2019) et Le duel des grands-mères (en 2022), Deux grands hommes et demi est son troisième roman dans lequel l'auteur nous raconte l'histoire de deux amis, deux frères, que rien ne prédestinait à venir vivre à Paris, dans la clandestinité des femmes et des hommes jetés sur les routes sinueuses et violentes de l'exil.
Nous sommes dans les années 90. Des deux compères, c'est Manthia qui nous raconte leur "aventure" depuis un centre de rétention administrative parisien. Auprès de l'interprète qui lui a été assigné, sous le regard d'un avocat commis d'office, Manthia remonte le cours de leur histoire depuis leur petit village natal, en passant par Bamako jusqu'aux portes de la capitale française.
Mais Manthia doute parfois de la bonne volonté de l'interprète : va-t-il l'aider ? Ou, au contraire, va-t-il enfoncer la tête sous l'eau de celui qui, depuis déjà des années, est en train de se noyer dans les marasmes d'une administration austère et de plus en plus hostile envers les étrangers ?
Manthia a-t-il vraiment choisi de quitter son pays ? Et surtout est-il heureux de cette aventure ? S'agit-il d'un choix ou d'une obligation de partir ? Tout quitter, laisser derrière soi celles et ceux que l'on aime, les valeurs de son pays, l'amour de ses racines, de sa terre. Partir parce rester c'est se condamner, ainsi que sa famille, à une mort certaine : soit par la famine, soit par la violence de la guerre.
Espérer trouver mieux ailleurs, mais surtout porter la responsabilité de toute sa famille sur ses épaules, car, bien souvent, sur les routes de l'exil forcé, de la survie d'un seul homme dépend plusieurs générations.
A travers ce roman qui se déroule dans les méandres de la pensée de Manthia, le personnage de papier de Diadié Dembélé, se pose inexorablement la question de l'immigration dite clandestine. Le personnage principal est tiraillé entre son devoir à accomplir (faire ce que la famille restée au village attend de lui) et son désir culpabilisant d'émancipation (une vie ailleurs est peut-être une vie meilleure, mais il n'y a aucune garantie à cette supposition).
Ce roman, comme bien d'autres dont le sujet principal est similaire, demande aux lectrices et aux lecteurs de s'interroger sur le parcours d'un migrant, mais pas seulement. Celui ou celle qui part, ne prend pas cette décision seul.e. De nombreux intermédiaires interviennent dans ce parcours du combattant, dans cet espoir d'une vie meilleure pour beaucoup à travers le mandaté. Celui qui part conserve une lourde responsabilité vis-à-vis de ceux qui restent. Il devra être courageux, résiliant, fidèle aussi. Mais attention, il devra aussi rester droit comme le bâton du berger et ne pas devenir la honte de sa famille, de son village : faire honneur aux siens, obtenir des papiers, s'intégrer, réussir (même si tout est fait sur place pour que sa mission échoue), telle est, en outre, la quête du « migrant ».
Plus les décennies passent, plus « le migrant » devient la représentation d'une entité déshumanisée et potentiellement dangereuse. L'encre coule et les bateaux de fortune avec. Sur la Méditerranée ou l'Atlantique, il ne se passe plus une seule semaine sans que la mort de dizaines de personnes fasse la Une d'un journal. La verticalité qui coule à pic remplace souvent la solidarité. La mort d'un être est englobée sous celle de milliers.
La perte humaine est remplacée par la leçon de morale : « Mais quelle idée de partir dans de telles conditions ? - Quelque part, ils l'ont cherché, non ? Il faut les arrêter, on va être envahis ! C'est une catastrophe ! », diront certains.
Oui Mesdames et Messieurs, c'est une catastrophe, mais pas au sens que l'entendent les commentateurs du dessus...
Parti pris
De nombreux auteurs contemporains africains se saisissent du sujet de l'exil de leurs frères et de leurs soeurs qui, par milliers, bravent la mort et ses démons dans des conditions inhumaines. Vous pouvez en retrouver certains sur le site, notamment Mohamed Mbougar Sarr ou encore Elgas, pour ne citer qu'eux.
Et pendant que l'Europe (dont la France est loin d'être en reste) durcit ses « Lois » chaque année au sujet des « sans-papiers », souvent considérés comme une sous-catégorie d'hommes et de femmes envahissants, envahisseurs, des mères et des pères pleurent leurs enfants. Des enfants auxquels ils ne pourront parfois même pas offrir une sépulture, faute d'un corps à enterrer.
Et si nous portions notre réflexion au-delà des apparences et que nous nous rappelions que nous sommes toutes et tous des migrants, des enfants d'exilés depuis des centaines de centaines de générations ? Qui peut aujourd'hui se vanter d'être un « Français de souche » ?
Un utopiste, peut-être. Un hypocrite, sûrement.
234 pages / Sorti en janvier 2024 aux Editions JC Lattès
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