Où allons-nous ? Dans le monde fantastique et peuplé de démons de Mademoiselle
À quelle époque ? Dans deux espaces-temps à la fois
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Avec Histoire de démons, il va falloir vous accrocher et plonger littéralement dans un monde fantastique peuplé de démons et d’êtres plus surprenants les uns que les autres. Dès le début du roman, vous ferez la connaissance de Mademoiselle. C’est elle qui va vous raconter son histoire. Mademoiselle vit seule dans son petit appartement parisien. Elle fume beaucoup, dort peu et ressasse à longueur de nuits des idées très sombres. Mais Mademoiselle ne vit pas seule, finalement, car la nature, à son grand dam, semble l’avoir dotée d’un étrange pouvoir : celui de voir et de communiquer avec les démons ! Dans la commode de Mademoiselle vit Livy, un démon Vamp aux longs cheveux noirs. « « Belle, belle, belle », ne cesse-t-elle de murmurer. Vanité, arrogance, sournoiserie, luxure, et tant d’autres, elle touche à tous les domaines qui se mêlent au Pouvoir de la Femme. Selon Livy, les femmes ont un pouvoir sur le reste de l’Humanité. » (P.18)
Sur le canapé de Mademoiselle est confortablement installé Vigo, un démon presque attachant et particulièrement hideux, squelettique et gigantesque qui passe ses journées à fumer et à inciter l’héroïne à en faire de même. « « Fume, me dit-il, regarde, c’est comme le Yoga, en mettant le filtre dans ma bouche, inspirez, expirez. » » (P.18)
Et surtout, il y a Armor, un puissant démon redouté de tous les autres méchants. Armor, avec sa « cape noire » et ses « cheveux d’argent dans le vent » qui rentre subitement dans la petite existence lassée et monotone de Mademoiselle, et qui va l’envahir de sa vapeur démoniaque. Tout de suite, Mademoiselle va tomber sous son charme sombre. Mais ira-t-elle jusqu'à lui céder son âme lorsqu’il l’emmènera faire un tour dans les airs, au-dessus des toits de Paris ?
Armor : « Qui tu es ? »
Mademoiselle : « Ha ha… Tu me vois… Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Je suis une espèce de jeune femme déjà épuisée par la vie. Je hais la ville, je hais les gens, et je me hais aussi pour ces raisons. J’ai envie de faire de grandes choses et la seconde d’après, j’ai envie de mourir... (P.42)
À mon humble avis :
Le premier roman de Sarah HEDI, à la fois fantastique et psychologique, est une belle réussite. Dès le début, l’auteure réussit à nous plonger dans un décor très particulier, enclin à une atmosphère ténébreuse. Malgré tout, elle arrive à rendre certains démons du roman presque attachants, comme les deux squatteurs de l’appartement de Mademoiselle. Mais attention, l’auteure ne manque pas de nous rappeler de temps à autre, à nous, lectrice et lecteur, qu’un démon est un démon !
Le roman étant rédigé à la première personne, nous sommes de suite immiscés dans le mental et l’émotionnel de cette Demoiselle dont nous ne connaissons pas le vrai prénom. Qu’à cela ne tienne, nous plongeons quand même avec elle dans des aventures qui flirtent souvent avec la mort et toujours avec l’amour : l’amour pour l’autre, l’amour de l’autre, mais également l’amour que l’on peut (ou pas) se donner à soi-même.
« Diagnostiqué, parce qu’on tombe amoureux comme on tombe malade. Et moi, j’ai l’impression d’être malade de ça. Ou d’être malade dans ma tête. » (P.55)
Aux côtés de Mademoiselle, on affrontera souvent le doute, parfois même jusqu’aux portes de la démence et de l’Enfer. Qu’est ce qui ne tourne pas rond finalement? Le monde ? Les démons ? L’héroïne au pseudonyme si commun, mais au tempérament et aux pouvoirs si singuliers ?
Ce qui fait la différence :
Le petit plus du livre, ce sont les illustrations de Jordan Zénarre que l’auteure a choisi d’intégrer à certaines parties de son roman. Elles nous permettent de ressentir tout de suite l’atmosphère vaporeuse et maléfique de certains passages du roman.
Histoire de démons, c’est aussi beaucoup de subtilités intrinsèques, de nombreuses réflexions métaphysiques et une énorme dose de psychologie. C’est également l’histoire d’une jeune femme qui a froid, qui se sent vide et seule, qui se demande comment elle arrivera à se défendre face à un monde qu’elle ne comprend pas et qui ne l’accepte pas dans sa différence.
« Ce n’est pas une question de surnaturel, c’est une question de sensibilité. Peut-être suis-je d’ailleurs trop sensible ? Et peut-être que c’est la raison pour laquelle je les vois. C’est mon hypothèse du moment. » (P.48)
« Livrée à moi-même. Comme je me livre avec ces mots. Je ne suis que Mademoiselle, et je vis avec mes démons. Citoyenne du monde. J’en ai visité moins de cinq pour cent. J’ai soif d’aventures. J’ai peur que mon temps s’achève. J’ai peur du jour où je ne brillerai plus alors que je ne brille pas encore. J’ai plongé dans la période noire de ma vie. La bascule. La désillusion totale. La soif d’apprentissage et le désir de vivre tout ce qui m’attend se sont changés en une rage de vaincre à laquelle s’attache un manque colossal de maîtrise émotionnelle. » (P.50)
« Tombée amoureuse » ou « tombée en amour », comme disent nos amis canadiens. Voici vraiment une drôle d’expression de la langue de Molière, si on y réfléchit un instant. Pourquoi « tomber » et pas « s’envoler » ou « s’élever » ? Peut-être, tout simplement, parce que lorsque l’on vit une émotion aussi intense et profonde, on cède à l’autre une part de nous-même. Mais à quel prix, lorsqu’il s’agit d’un démon ?
« ̶ Tous tes rêves peuvent se réaliser. »
̶ Tss… Armor, je n’ai même plus de rêves !
̶ Alors dis adieu à la société, adieu à cet endroit qui te répugne et que tu critiques. Tu rêves d’un autre monde, non ? Je te donne la possibilité de venir dans le mien.
̶ À quoi dois-je renoncer ?
̶ À tout. » (P.80)
Bravo à l’auteure et belle lecture à vous.
226 Pages / avril 2019 / Aux Éditions Baudelaire
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