Où allons-nous ? Au Nigéria, en Côte d’Ivoire, au Libéria, au Cameroun
À quelle époque ? Contemporaine
Je découvre à travers Là où naissent les prophètes le troisième ouvrage d’Olivier Rogez, journaliste depuis de nombreuses années chez RFI. Et je suis conquise ! Auteur-conteur, l’écrivain nous entraine dans un chassé-croisé de différentes vies hétéroclites à travers plusieurs pays d’Afrique. Un point commun : la foi, ou plutôt la recherche de la foi pour certains, la perte de cette dernière pour d’autres. La foi musulmane, catholique ou protestante. Et le doute, encore et toujours, omniprésent.
Wendall Tubney prêche dans les rues de Monrovia. « D’habitude, quand il commençait son sermon, les gens s’arrêtaient et écoutaient, car ils espéraient voir les anges. En réalité, le phénomène ne s’était produit qu’une seule fois, mais cette simple fois avait suffi à asseoir sa réputation. » Quinze ans plus tôt, le Libéria était touché de plein fouet par une guerre civile. Wendall, à l’époque, était un enfant-soldat. « Il avait toujours une mitraillette AK-47 en bandoulière ainsi qu’une grenade chinoise dans la poche. » Aujourd’hui, la seule arme qu’il lui reste, c’est sa bible et son sermon. Mais un jour, alors qu’il erre, enclin au doute et à des pensées sombres, il a une vision apocalyptique, similaire en de nombreux points à celle du Jugement Dernier.
« La mer venait de s’ouvrir en deux, de façon biblique, littéralement. Deux gigantesques falaises d’eau s’étaient écartées, découvrant une vaste plaine de sable blanc sur laquelle gisaient des poissons agonisants, des crustacés et des étoiles de mer par centaines. Au milieu de cette désolation se dressait un immense glaive planté dans le sable, ceint d’une couronne de flammes.» (P.19)
Frances Miller, fille de pasteur protestant et évangéliste, a débarqué en Afrique, avec sa famille, lorsqu’elle avait 10 ans. L’Américaine, qui appartient à l’Église de la Foi Rédemptrice, sillonne le continent depuis des années pour venir en aide aux « nécessiteux dans les faubourgs de Nairobi, Lagos, Abidjan ». Mais, victime d’un drame, elle s’acharne depuis à chercher une réponse à la barbarie humaine, sans pour autant perdre la foi. C’est alors qu’elle entend parler « d’un jeune-homme extraordinaire dont les prêches enflammaient les esprits, et qui vouait sa vie à arpenter les rues pour annoncer Sa venue. » S’amorce alors pour la jeune-femme une seconde naissance avec pour but ultime une mission capitale : celle de retrouver Wendall Tubney, de regrouper les croyants pour former une caravane de la paix et de rejoindre le nord du Nigéria, fief de Boko Haram.
« Elle portait maintenant ce regard sur Wendall, espérant sans trop y croire que le nabot allait se muer en soldat de la foi. Au bord du découragement, elle attendait un signe. C’est alors que se produisit un miracle. À l’instant où le jeune-homme s’extirpait de son lit de misère, le premier rayon du jour vint frapper son visage, illuminant un sourire si beau, si pur, si profond qu’elle eut le souffle coupé.» (P.37)
Laya a 17 ans. Elle vit dans un village sahélien au nord du Cameroun. Pourtant née dans une famille où l’amour et le respect sont présents, la jeune-fille aspire à une grande soif d’aventure et de liberté. Elle ne peut se résoudre à passer toute son existence dans cet endroit. « Elle se sentait étrangère, trop gaie, trop libre et trop vivante. » Alors qu’elle est seule dans la demeure familiale et qu’une tempête de sable se dirige droit vers elle, on frappe à la porte. La région étant soumise à des attaques régulières de Boko Haram, elle ouvre courageusement et laisse entrer un homme que l’on surnomme « l’Initié », accompagné de ses onze disciples.
« — Nous sommes ici pour apprendre aux habitants de ce village à honorer Dieu et à respecter Sa parole. Seule l’observation de la glorieuse loi de Dieu sauvera les âmes de Mokolo. Voilà ce que je dirai demain matin sur la place publique, à l’occasion d’Al-Sobh, la prière de l’aube. En attendant, nous dormirons ce soir à la mosquée. Peux-tu m’en indiquer le chemin ? Il est temps que nous partions et te laissions en paix. » (P.45)
Là où naissent les prophètes est à lire ! C’est certainement l’un des romans les plus addictifs qu’il m’a été donné de découvrir cette année. Olivier Rogez nous embarque dans des aventures rocambolesques avec beaucoup de subtilité et de savoir-faire. Ceci est certainement dû à sa grande connaissance de l’Afrique et des multiples croyances religieuses, dispersées sur le continent africain.
Il n’y a aucun préjugé dans le texte de l’auteur. L’auteur nous fait vivre des aventures pouvant sembler par moment utopistes, mais son livre est bien trop ancré dans la réalité pour que nous n’y décelions pas la trame de vérité sous-jacente, criante et omniprésente. Comment garder la foi lorsque l’on est un ancien enfant-soldat ? Comment espérer un avenir meilleur lorsque l’on a été « confié » enfant à un tortionnaire durant des années et que, lorsque l’on arrive enfin à s’échapper de l’enfer, on y replonge encore plus profondément ?
Ce livre fait partie de ceux qui vous marquent durablement. Je me suis attachée profondément aux destins singuliers de chacun de ses personnages, pas si fictifs, en vérité. J’y ai retrouvé la démesurée cathédrale de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, que j’ai eu l’occasion de visiter il y a de nombreuses années. Mon cœur s’est serré à l’évocation du passé d’Issa et de celui d’Idriss, tous deux compagnons de l’Initié. J’ai pleuré sur la tombe des parents de la petite Aminata, seule rescapée de 10 ans du massacre de Galdekore, qui n’est pas sans rappeler celui de Baga, en 2015, au nord du Nigéria et qui avait fait près de 2000 victimes.
« — Sais-tu ce que c’est que d’être un homme, soldat ? C’est refuser la terreur que d’autres veulent t’imposer. C’est résister, c’est prouver que l’on peut broyer d’une main ce que l’autre a fabriqué. L’orgueil, voilà ce qui reste à quelqu’un comme moi qui ne peux pas fuir vers d’autres pays ni me battre l’arme à la main comme toi tu en as la possibilité. La seule liberté que Dieu nous donne lorsque l’on vient sur terre, c’est de choisir sa mort. » (P.144)
Là où naissent les prophètes est une tour de Babel des religions d’Afrique : des églises évangélistes à Boko Haram, en passant par les catholiques, les protestants, les vrais prêcheurs et les faux prophètes !
Peut-être pourrait-on conclure sur la réflexion pertinente de Balthus Kouémé, le militaire camerounais qui cherche désespérément à retrouver Laya pour la sauver et la ramener auprès des siens :
« Les hommes ne peuvent jamais rester tranquilles. Ils s’inventent toujours des destins ou des vocations. Les dieux et les déesses servent de prétextes pour mettre en mouvement leur ambition. C’est ainsi que naissent les prophètes. » (P.255)
Belle lecture à vous et bravo à l’auteur !
N.B : Olivier Rogez a également écrit deux autres ouvrages : L’ivresse du sergent Dida (Grand Prix SGDL 2017 du premier roman) et Les hommes incertains (2019).
339 pages / Septembre 2021 / Éditions Le Passage
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