Où allons-nous ? En France et aux États-Unis
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Anna, trente-deux ans, est médecin urgentiste dans un grand hôpital parisien. Elle adore son métier qui, pour elle, est une véritable vocation, et ce malgré le fait qu’elle travaille dans le service d’un chef despotique et fort peu humain qui n’est autre que son père, l’émérite Pr Pierre-Olivier Catrevant, surnommé dans le service « le Bombardier ». Elle n’a pas d’enfant, pas de mari, pas d’animal de compagnie, et pourtant tellement d’amour à offrir. Assujettie à son père depuis toujours, comme l’ensemble de la famille Catrevant d’ailleurs, elle doit se rendre aux États-Unis pour la septième année consécutive (à la place du paternel qui a une trouille bleue de l’avion) afin d’y présenter les derniers travaux médicaux au sujet « des dernières recommandations européennes sur le traitement de la fibrillation auriculaire paroxystique ». Mais voilà, juste avant de partir pour l’aéroport, après une nuit de garde à l’hôpital, un patient dont elle s’est occupée la veille, et qu’elle vient d’autoriser à rentrer chez lui, a un grave problème de santé.
« Pourquoi aujourd’hui, pourquoi ce patient, pourquoi moi ? S’il meurt, je ne m’en remettrai jamais. S’il s’en relève, je revivrai, mais il me trainera au tribunal. Le Bombardier va me trucider. Mon chef va me suspendre. Voilà. Quel que soit le scénario, ma carrière est finie. Terminée ! » (P.36)
En mode automatique, Anna attrape quand même son vol pour l’Amérique. Arrivée à San Francisco, elle aperçoit le grand stand « aux couleurs d’un laboratoire pharmaceutique bardé de fanions et d’hôtesses d’accueil à longues jambes », celui des congressistes qu’elle est censée rejoindre. Au même moment, un jeune-homme pressé la bouscule par inadvertance. Anna tourne la tête sur la gauche et découvre un groupe d’individus enjoués et « vêtus de couleurs vives » qui s’apprêtent à participer à un « stage de psychologie intégrative » et dont le thème de la semaine sera : « courageux, l’être, le devenir ? ». Anna s’interroge alors :
« Je me demande si la notion inclut le courage d’affronter sa propre culpabilité, une commission d’évaluation des erreurs médicales et la colère d’un despote en blouse blanche. Ce doit être une expérience intéressante, un stage en psychothérapie. » (P.45)
À mon humble avis :
Ce premier ouvrage de Fanny Gayral est le genre de roman « Feel Good » qui fait réellement du bien. L’auteure étant elle-même médecin généraliste en France, elle nous entraine dans un univers à la fois intense et plein de rebondissements qu’elle maîtrise parfaitement. Avec Le début des haricots, vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer. Et vous dévorerez ce roman en quelques heures.
Vous vous attacherez à Anna, un médecin émérite qui fait toujours du mieux qu’elle peut pour aider ses patients dans la compassion et l’écoute. Et ce malgré la pression qui pèse continuellement sur ses frêles épaules. Vous vivrez aussi par procuration la lourde mission qui incombe à un docteur : celle de sauver des vies, coûte que coûte, parfois au péril de son propre équilibre émotionnel et psychologique.
Ce qui fait la différence :
Tout d’abord, ce que j’ai particulièrement apprécié dans ce livre, c’est avant tout le titre du roman qui a su aiguiser ma curiosité : Le début des haricots. Soit, mais encore ? Une expression détournée, mais pourquoi ? Où veut en venir l’auteure ? « Haricot » comme dans « Jack et le haricot magique » ? Comme lorsque le petit garçon, parti pour vendre la seule vache qu’ils leur restent à sa mère et lui et qui ne donne plus de lait, l’échange contre quelques haricots qu’un vieil homme à l’allure étrange lui promet d’être magiques ? À l’aéroport de San Francisco, Anna échange sa vie et ses lourdes responsabilités en rejoignant sur un coup de tête du groupe d’individus assez particuliers. Et puis, les haricots écrasés m’ont aussi fait pensé à une espèce de bouillie tiédasse, un peu comme lorsque l’on a la cervelle en marmelade, à force de trop penser. Je m’arrêterai là dans mes réflexions personnelles et vous laissera trouver une explication, à ce titre très original, qui vous raisonne.
Ensuite, j’ai grandement apprécié la capacité de l’auteure (de formation médicale pure et dure, rappelons-le !) à initier la lectrice/ le lecteur à la psychothérapie intégrative. Fanny Gayral, à travers l’émotionnel d’Anna, nous fait redécouvrir à quel point la méditation, la relaxation, et notre capacité à profiter de l’instant présent sont des éléments primordiaux de notre vie, au quotidien. Se poser, respirer, prendre le temps d’écouter ce qui se passer à l’intérieur de nous ; autant de petites choses si essentielles qui nous apporte équilibre et bonheur dans l’instant présent, ici et maintenant.
« Aujourd’hui, je n’attends rien. Je ne visualise rien. Je me contente d’être là, d’observer, et c’est déjà beaucoup. Mes pensées vont et viennent, en vagues paisibles sous la brise à la surface, en lames de grand fond qui brassent mon esprit, en courants marins pressants et agités. » (P.131)
Je rajouterai également un petit mot au sujet de l’exercice des constellations familiales et systémiques qu’Anna va vivre intensément, dans l’espoir de se libérer de certains schémas répétitifs et toxiques du quotidien. Ayant moi-même expérimenté cette méthode de thérapie familiale transgénérationnelle, il y a quelques années déjà, je ne peux que saluer cette technique particulièrement efficace et libératrice. Et je remercie l’auteure d’avoir fait le choix d’aborder cette approche dans son roman.
Belle lecture à vous et bravo à l’auteure dont j’ai hâte de découvrir les autres romans !
224 pages / Avril 2019 / Le livre de Poche
Comments