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L’interview de Radwane SAHELI, auteur de poésie depuis Dakar

Dernière mise à jour : 21 févr. 2022


radwane saheli interview
Radwane Saheli depuis Dakar

Bonjour Radwane. Je te remercie d’avoir accepté cette interview pour mon site internet. Aujourd’hui, à tes côtés, nous allons parler poésie, mais aussi des femmes. Et oui, dans deux jours, nous serons le lundi 08 mars et nous célébrerons la Journée Internationale des Droits des Femmes. C’est parti !


Tout d’abord, je t’invite à te présenter aux lectrices et aux lecteurs.


̶ Bonjour Béatrice, je te remercie tout d’abord pour ton invitation en cette journée si importante. Je me présente donc à tes lecteurs : je suis Radwane Saheli, j’ai 55 ans et je suis le père de 3 enfants. J’ai la chance d’être citoyen de 3 pays : le Sénégal comme pays de naissance et de résidence, la France comme pays de formation scolaire et supérieure, et le Liban comme pays d’origine. Au-delà de cette situation purement administrative, il y surtout l’apport d’une incroyable richesse intellectuelle et culturelle. J’ai passé mon baccalauréat français à Dakar, puis j’ai suivi une formation d’ingénieur génie civil à Lyon. Je suis actuellement chef d’entreprise dans une société de construction sénégalaise.


Depuis quelques années maintenant, tu es auteur de poésie. Mais à quand remontent tes premiers travaux d’écriture ? T’en souviens-tu ?


̶ Oui, parfaitement, ils datent de la fin de l’année 2015, à la suite d’un événement majeur qui a bouleversé ma vie. La douleur était si intense que je me suis mis à écrire sans vraiment comprendre ce qui m’arrivait. J’avais depuis toujours des mots qui cognaient en permanence dans ma tête, sans leur donner de l’importance, car je pensais que tout le monde était pareil. À partir du moment où j’ai commencé à les écrire, je ne pouvais plus m’arrêter.


Pourquoi avoir choisi la poésie plutôt que le roman ou un autre style littéraire ?


̶ Je n’ai pas choisi, c’est la poésie qui m’a choisi. Elle s’est imposée à moi sans que je ne décide de rien. Avec le recul, je crois qu’elle offrait tout ce que mon âme réclamait à ce moment, je veux dire le langage des émotions, mais aussi celui des symboles, des images qui jaillissent de l’inconscient. La poésie permet aussi de dire les choses tout en gardant une certaine pudeur. Par rapport aux autres styles littéraires, elle permet une plus rapide cristallisation des idées et des émotions, la formulation de leur multiplicité et surtout, demande moins de temps pour un homme comme moi, très occupé professionnellement et familialement.


Combien de recueils as-tu déjà édités ?


̶ Trois recueils aux Éditions du Net : « Les limbes du cœur » en 2016, « Soleils de nuits » en 2018 et « Totems du temps » en 2020.


Et pour la suite ?


̶ Il n’y a rien de prévu pour l’instant.


Où puises-tu ton inspiration ?


̶ Avant tout de l’expression de mes émotions. Je suis quelqu’un d’hypersensible, avec une amplification des émotions démesurées par rapport au commun des mortels. C’est ce qui caractérise les personnes avec cet ADN. Je me souviens par exemple avoir mis plus de trois jours pour me sortir du bouleversement dans lequel m’avait mis le film « Le grand bleu » de Luc Besson en 1988. J’ai dû passer sous l’eau froide en rentrant de la séance pour essayer de remonter à la surface. Je puise aussi énormément de mes influences artistiques, cinéma, musique, littérature, peinture, sculptures, etc..


La nature m’inspire beaucoup également, car elle est le miracle permanent d’une immense œuvre d’art qui est à la fois unique, différente et merveilleusement belle à chaque instant.


À quel rythme écris-tu ? Fais-tu partie de ces auteurs qui, par moment, souffrent du fameux syndrome de la page blanche ?


̶ Je suis de nature libre. Je ne me force à rien, et si je le faisais, le résultat serait médiocre à mes yeux. J’écris quand le besoin ou l’envie se font sentir. Les choses viennent naturellement à la faveur de fortes émotions. J’évolue dans un milieu professionnel difficile où je dois bloquer mes émotions pour pouvoir être efficace. J’écris souvent les week-ends où je peux me lâcher et laisser libre cours à mon être véritable. Je ne connais absolument pas le syndrome de la page blanche, car je ne fixe aucun objectif en poésie. Il en va de même pour la structure du poème, classique, sonnet, vers libre, etc.C’est au fil de l’écriture qu’elle suit telle ou telle direction, jamais avant. Je fais ensuite un travail d’arrangement et je complète certains vers ou certaines rimes.


On ne trouve pas beaucoup d’auteures féminines célèbres dans le domaine de la poésie. Pourquoi, à ton avis ? Est-ce un procédé d’écriture qui serait plus adéquat aux hommes ? Les hommes seraient-ils plus aptes à écrire de la poésie ?


̶ Bonne question ! Je ne me la suis jamais posée. Je me hasarderai à donner deux pistes. Tout d’abord parce que les femmes expriment plus naturellement et plus facilement leurs émotions dans la vie de tous les jours. Et puis historiquement, les femmes avaient plus besoin des romans et des essais pour exprimer en priorité leurs problèmes plutôt que leurs émotions. Mais les choses changent, je pense.


Au-delà de la poésie, tu es aussi un grand amoureux de l’Art, avec un grand A majuscule. D’où te vient cette passion et comment réussis-tu à la nourrir dans ton quotidien ?


̶ Cette passion remonte à la place que l’imaginaire occupe depuis mon enfance. Pour nourrir mon esprit hyperactif et toujours en vitesse supérieure, il me fallait créer des mondes parallèles. Cette tendance était renforcée par beaucoup de solitude, car je m’ennuyais souvent dans la routine. Dakar était assez pauvre culturellement, et je me réfugiais au Centre Culturel Français ou je dévorais tout ce qui me tombait sous la main. Mes études en France ont été une énorme bouffée d’oxygène, en termes d’offre artistique, mais aussi relationnelle où j’ai pu partager ma passion avec d’autres personnes. Pour la nourrir au quotidien, j’utilise la majeure partie de mon temps libre : aller au cinéma, visiter les musées, les expositions, lire, et écouter de la musique en permanence. Je me suis mis récemment au modelage. Les réseaux sociaux nous donnent également accès et instantanément à tous les artistes du monde, et à leurs dernières productions. Quelle chance !


Dans ton dernier recueil de poésie, tu as également intégré des images, à base de vitraux, réalisés par une artiste de la place. Pourquoi ?


̶ Lorsque j’écris, c’est pratiquement toujours en musique, c’est un puissant catalyseur d’émotions. J’ai également des images qui défilent. Ne pouvant pas pour l’instant joindre des sons à mes recueils, j’ai la possibilité en revanche de les illustrer. Pourquoi se priver ? Pour mon dernier recueil, j’ai la chance d’avoir été le spectateur privilégié des productions d’une artiste amoureuse du verre. Lors de notre collaboration à la préparation d’une de ses expositions, je lui avais demandé de me produire des œuvres en écho à certains de mes poèmes. Il a fallu ensuite photographier le verre pour essayer de conserver le meilleur rendu. Cette collaboration artistique a été absolument passionnante. Pour moi, le partage est l’essence même de l’art.


Maintenant, une question très difficile : si tu ne pouvais conserver qu’un seul ouvrage pour toute ta vie, lequel choisirais-tu et, bien entendu, pourquoi ?


̶ Le Coran sans hésiter. Parce que c’est un ouvrage que je considère comme sacré et miraculeux. Il est aux antipodes de l’obscurantisme et de l’aveuglement que traverse le monde musulman contemporain. Il est miraculeux, car tout en conservant le même texte inchangé depuis 1400 ans, il se renouvelle à chaque lecture et différemment, en réponse aux attentes de chaque lecteur. Il faut en faire l’expérience pour le comprendre, et surtout le lire avec un regard herméneutique et une dimension symbolique.


Une autre raison parmi tant d’autres, et qui nous intéresse aujourd’hui, et que c’est le premier texte féministe de l’histoire. Imaginez le monde et la condition des femmes au 7ème siècle. Et voilà un texte qui fixe des droits aux femmes. Le droit de vivre d’abord, dans une époque où les filles étaient enterrées vivantes à la naissance. Aujourd’hui, mon interprétation personnelle est que le système patriarcal encore en vigueur « enterre » toujours de facto les filles à leur naissance. Et puis limiter le nombre d’épouses à 4 au 7ème siècle, en faisant comprendre que la monogamie est préférable, est une RÉVOLUTION. J’ajouterai le droit d’hériter et beaucoup d’égalité avec les hommes sur plusieurs points.


Que représente pour toi la Journée Internationale des Droits des Femmes, en sachant que cette année la thématique choisie par ONU Femmes est : « Le leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 » ?


̶ C’est une journée importante, et qui est malheureusement souvent mal comprise par beaucoup de femmes. C’est n’est pas la « fête » des femmes, mais la journée de leurs droits. Il n’y pas d’équivalent avec une journée de l’homme. Le thème est choisi en fonction de l’actualité, mais le fond de la lutte pour les droits reste inchangé.


Durant les trois dernières années, j’ai organisé des cafés littéraires à l’Amicale le Clos Normand de Dakar. À deux reprises, tu nous as fait l’honneur d’y participer en tant qu’auteur pour présenter tes nouveaux ouvrages. Tu es également venu à l’ensemble des cafés littéraires et souvent, je t’ai vu prendre la parole, notamment sur des sujets très féminins, et de manière engagée. Du coup, pourrait-on dire de toi que malgré le fait que tu sois un homme, tu es un féministe engagé ?


̶ Je n’aime pas les étiquettes, mais s’il le faut, je l’assume. Oui, je suis féministe au sens où je me sens concerné par la cause des femmes et contre les injustices et les violences qu’elles subissent. Beaucoup d’hommes influents se sont dits ou se disent féministes. Cela exprime beaucoup d’intelligence et beaucoup de confiance en soi de leur part. Il y a un complexe de la virilité chez les garçons, qui est un résultat d’une éducation patriarcale, véhiculée encore trop souvent par les mères elles-mêmes, souvent inconsciemment. Être féministe ne signifie pas renoncer à la virilité, bien au contraire. La virilité est importante, et même essentielle dans l’affirmation de la masculinité des garçons, mais elle n’a pas besoin de s’affirmer en écrasant le féminin. Elle doit plutôt en être le complémentaire. Le comportement agressif de certains hommes face à la libération des femmes traduit une peur de ne plus pouvoir contrôler, peut-être aussi d’assumer une quelconque trace de féminité.


Lorsque l'on lit tes poèmes, c’est tout le spectre des émotions qui nous transperce. Ces émotions sont parfois ambivalentes, mais toujours très remuantes. Quitte à débattre des stéréotypes, penses-tu que les hommes et les femmes sont pourvus de la même sensibilité ? Pourquoi ? Et là, j’aimerais que tu nous parles de ton poème « Des maux d’hommes » (Totems du temps, 2020).


̶ Je pense que les hommes et les femmes ont des sensibilités différentes, dues principalement à leur nature biologique. Un autre débat serait celui de savoir si nous sommes vraiment libres de nos sentiments ou prisonniers de nos hormones. Un homme ne connaîtra jamais l’instinct et les sentiments maternels. Mais l’instinct paternel existe : j’ai testé ! Il n’en reste pas moins que chaque être humain est unique est que chacun d’entre nous possède des caractéristiques masculines et féminines à des degrés différents. Quelle horreur pour les obscurantistes, mais quel bonheur pour les humanistes !


Mon poème « Des maux d’hommes » est un plaidoyer pour la souffrance que vivent les homosexuels. J’ai la chance de connaître des homosexuels et d’avoir un ami homosexuel avec qui j’ai abordé tous les sujets sans tabous. Le milieu des arts, de la musique nous sensibilise de plus en plus. Ils m’ont raconté à quel point le tube « Small town boy » du goupe Bronski Beat dans les années 80 les avait soutenus. Je me suis documenté, j’ai découvert un océan de souffrances. Et je me suis surtout rendu compte du pire, c’est que leur souffrance n’était pas recevable, car étant des « monstres », ils ne leur étaient pas permis de souffrir. J’avais accueilli et reconnu cette souffrance, les mots sont alors venus tout seuls.


Je souhaiterais aussi que tu nous expliques le message que tu as voulu faire passer en écrivant un poème qui m’a beaucoup marqué et que tu as intitulé « METY » (Totems du temps, 2020).


̶ Ce poème a une histoire singulière pour moi. Il est parti de la volonté d’évoquer le regard qu’avaient les gens sur les lépreux. J’ai choisi Mety, une lépreuse de mon quartier avec qui je bavarde parfois et qui est devenu mère depuis un an maintenant. Et sans que ne sache comment et pourquoi, il a fini par une description de l’horreur d’un inceste. J’avais déjà utilisé l’image de la lèpre pour décrire la souffrance des mères d’Alep dans mon précédent recueil. Cette fois-ci, cette image s’est liée inconsciemment à l’inceste. Je n’ai pas voulu retoucher le résultat. Aujourd’hui l’inceste fait la une de l’actualité et ce que l’on apprend est insoutenable.


Quelle citation ou quelle pensée souhaites-tu adresser aux filles et aux jeunes-filles qui seront les femmes de demain ?


̶ Je citerai avec plaisir mon poème « L’heure » pour leur dire de ne pas se faire voler leur vie, et de vivre la vie qu’elles auront choisie, librement.


« L’heure
Elle avait épousé la douleur Des autres Des noces de sang En pudeur Et sans fautes. Et son autre Son moi Lui cria Divorce-toi Il est l’heure. »

Radwane, je te remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions. Je te souhaite le meilleur pour la suite de tes projets d’écriture ainsi qu’une excellente Journée Internationale des Droits des Femmes.


Pour contacter Radwane SAHELI et découvrir sa plume poétique :

Les limbes du cœur, 2016 / Soleils de nuit, 2018 / Totems du temps, 2020 chez Les Éditions du Net.

Crédit photo : Radwane Saheli

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