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MONSIEUR SENEGAL - Antoine RAULT - Roman historique


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Monsieur Sénégal - Antoine Rault

Nous sommes à la fin de la Grande Guerre. La France, soutenue par ses alliés, a battu l’Allemagne. Les soldats reviennent du front pour être démobilisés. Pourtant, Amadou Lo, vingt ans, découvre qu’il n’a pas ses papiers officiels pour rentrer dans son pays, comme la plupart de ses camarades. Le médecin major Robert Desveaux, qu’il a rencontré à Verdun et qui lui a sauvé la vie à deux reprises, en a décidé autrement.

« Je soussigné médecin-major de deuxième classe Robert Desveaux déclare prendre à mon service à Miray (Franche-Comté) le tirailleur Amadou Lo, numéro de matricule 8028 de la 6e compagnie de 73e BTS. Je m’engage à le rapatrier à mes frais dans le cas où il ne pourrait faire mon service. Signé : Desveaux. » (page 27-28)

Cette démobilisation est censée durer quatre mois. Et à l’issue de ces quatre mois, Monsieur Sénégal, Amadou, qui d’ailleurs est Guinéen et non Sénégalais, pourra rentrer dans son pays, retrouver sa mère, sa femme et sa soeur. Amadou va s’accrocher à cet espoir, comme on s’accroche à une bouée de sauvetage jetée au milieu de l’océan en pleine tempête. Il a survécu à la bataille de Verdun grâce au major. Il se sent redevable vis-à-vis du docteur. Il se fait donc une raison et décide que le mieux qu’il puisse faire, c’est de s’adapter à cette nouvelle vie en France. Et la première étape à franchir est celle de la langue. Il veut maîtriser le français, pas le français « petit nègre » comme celui utilisé par l’armée française* pour s’adresser aux Forces Noires, non, le français comme le parlent les Français.

« … il pensait aux manuels d’histoire qui vantaient les bienfaits que la République aurait apportés aux peuples colonisés : la civilisation ! On ne leur a même pas appris à lire ! On ne leur a même pas appris à parler ! Pire, on leur appris cet affreux sabir, une langue d’idiots, une langue d’esclaves. La France, le premier pays à avoir aboli l’esclavage ! Tu parles ! On a seulement aboli le mot. » (page 261)

Après avoir défilé sur les Champs-Elysée, avoir été acclamé par une foule en liesse, avoir été décoré par l’armée française pour ses bons et loyaux services, Amadou rejoint le docteur dans sa campagne, au fin fond de la France profonde pour y devenir son chauffeur particulier. Dans ce coin de l’arrière pays, les clichés ont la vie dure, bien plus dure qu’à Paris, vous vous en doutez. Ces campagnards n’ont jamais vu un Africain de toute leur casanière de vie. Et les stéréotypes ont la peau dure ! Pourtant, Monsieur Sénégal reste confiant, avenant et ne perd pas espoir. Il s’accroche à son futur retour, chez lui. Tout au long du roman, il croise des êtres singuliers, des « Français de souche », comme la France franchouillarde aime le signifier. Certains lui réserveront un accueil bienveillant, d’autres idiots ne verront pas plus loin que la couleur de sa peau. Quelque uns l’aideront dans son apprentissage du français, d’autres profiteront de sa gentillesse et de son ouverture d’esprit.

A travers ce roman historique, je découvre la plume originale et fort instructive d’Antoine Rault.

Sous les traits d’Amadou, l’auteur nous replonge dans une part de l’Histoire française et de ses colonies. Entre deux chapitres, l’ouvrage entremêle des textes officiels de cette époque d’Entre deux-guerre qui font froid dans le dos et qui donnent tout simplement envie d’hurler.

« Le tirailleur, âme simple et neuve, est en somme un grand enfant que l’on éduque au sortir de la brousse. Plastique, il devient ce que l’on veut qu’il devienne; il ignore tout, il a tout à apprendre. (…) De jugement simple, il agit sans grand discernement. (…) Le tirailleur est persuadé de la supériorité du blanc qu’il accepte volontiers. A l’égard du médecin, il professe la plus haute estime. Un peu « sorcier », le major est un être éminemment supérieur. (…) D’intellect peu développé, les troubles du psychisme chez le tirailleur sont rares et ne peuvent prendre de formes compliquées que l’on observe chez les civilisés d’ordre supérieur ».

La guerre et le tirailleur sénégalais, thèse de médecine de Marcel Eugène Lacaze (1919)

« Le noir naît soldat plus encore que guerrier car son instruction militaire est facile et il a le sentiment de la discipline. Cette facilité d’instruction qui surprend au premier contact vient de ce que les réflexes sont très faciles à dresser chez les primitifs que n’a encore déformés aucun effort. Le noir n’a jamais peiné car le travail de la terre, si dur en Europe, se réduit en Afrique à un débroussaillement sommaire et à un léger grattage et, d’ailleurs, l’homme travaille très peu. L’homme de recrue s’instruit par imitation, par suggestion. Il a peu réfléchi avant d’entrer au service et on atteint chez lui l’inconscient presque sans passer par le conscient. (…)

L’endurance à la fatigue et aux privations est extrême chez les hommes primitifs. (…)

Dans les batailles futures, ces primitifs pour lesquels la vie compte si peu et dont le jeune sang bouillonne avec tant d’ardeur et comme avide de se répandre, atteindront certainement à l’ancienne « furie française » et la réveilleraient s’il en était besoin. »

La force noire, Lieutenant-colonel Charles Mangin (1910)

Il nous faut remercier Antoine Rault pour l’écriture et la publication de ce livre l’été dernier. Il opère ici un devoir de mémoire pour les générations actuelles et futures qui doivent savoir comment a été écrite l’Histoire et qui ne doivent pas oublier. Savoir, c’est pouvoir créer un monde dans lequel la différence n’est plus une source de mépris, mais une force, une synergie qui rassemble l’humanité.

*Le français tel que le parlent nos tirailleurs sénégalais, imprimerie-librairie militaire universelle, L. Fournier (1916)


423 pages / publié en mai 2022 aux éditions Plon


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