Où allons-nous ? Au Sénégal
À quelle époque ? De la fin du XIXème siècle jusqu’en 1944.
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Aline, emprisonnée et assassinée par les colons français, après un semblant de procès, qui n’en avait que le nom.
Aline Sitoé, aussi surnommée (de manière maladroite selon moi) la Jeanne d’Arc africaine, morte à 24 ans, après avoir été docker au port de Ziguinchor, femme de ménage dans une famille française à Dakar, reine de la Casamance et résistante pacifique.
Aline Sitoé Diatta, bercée dans son enfance par l’histoire de Nehanda Nyakasikana (la médium zimbabwéenne qui, 100 ans plus tôt, s’est révoltée contre l’oppression des colons britanniques et fut exécutée par ses bourreaux), respectueuse de la tradition Diola et guidée par les esprits de la nature.
«Le bébé, inspecté par la sage-femme, est tout à fait ordinaire, il a ses deux bras, ses jambes et ses dix doigts. Aline est belle est vigoureuse. Son père est fier. Il prie pour remercier le ciel. Sa mère s’est endormie en paix. […] Aline, avec sa peau de velours, ses lèvres ourlées, son front bombé, signe d’intelligence, et son profil bien dessiné fera des ravages. Les parents se bercent d’illusions avec leur projet d’avenir, loin d’imaginer, qu’un jour, Aline sera reine. Son destin est déjà tracé et comme pour tous les autres rois et reines avant elle, ce ne sera pas une tâche facile. Elle sera seule à gérer cette vie, qui appartient déjà à tout un peuple. » (P.51)
À mon humble avis :
Depuis plusieurs années, dans le cadre de mes travaux d’écriture, je suis à la recherche de documents historiques et de rencontres relatant la véritable histoire de vie d’Aline Sitoé Diatta. Alors, autant dire que lorsque j’ai pris connaissance de la sortie de ce livre, je me suis ruée chez le libraire pour l’acquérir. J’ai plongé dans l’ouvrage… et je l’ai lâché durant plusieurs semaines. Je m’y suis finalement remise il y a deux jours, rendue à la moitié de l’ouvrage, et là, je ne l’ai plus lâché. Alors, qu’est-ce qui a pu me démotiver à un moment donné ? Le sentiment d’avoir été bernée par rapport au choix du titre du livre. L’auteure y a inclus une grande part historique ainsi que le récit en parallèle de la famille d’un colon, Martin. Je voulais en savoir plus sur Aline et j’avais par moment l’impression que l’auteure s’éloignait trop de la reine Diola, ou que la part romanesque empiétait trop sur la part historique. Mais, après l’avoir terminé et m’être souvenue que ce livre est avant tout un roman fiction, je peux affirmer que cet ouvrage vaut vraiment le détour, que l’on connaisse l’épopée d’Aline ou pas.
L’autre élément à souligner, c’est le choix de la photo de couverture de l’ouvrage. Cette jeune-femme wolof captive notre regard, sans avoir besoin de regarder l’objectif du photographe, mais ce n’est pas Aline Sitoé Diatta, car cette image (qui appartient à la bibliothèque Marguerite Durant, ville de Paris, et que la maison d’édition de l’auteure remercie au début de l’ouvrage) est une carte postale de 1910 (le cachet de la poste faisant foi), appartenant à la « collection générale Fortier 1037».
Jusqu’à présent, le mystère plane toujours autour du vrai visage d’Aline. Et en 2020, sa dépouille n’a pas encore rejoint son village natal, et ce, malgré l’intervention l’an passé d’Alioune Tine, ancien président de la Rencontre Africaine de Défense des Droits de l’homme (RADDHO) lors de sa mission à Tombouctou (Mali).
Et puis, il y aussi le personnage charismatique de Diacamoune, le vieux sage qui a survécu aux tranchées de la Première Guerre mondiale et qui accompagne Aline jusqu’à sa mort. Doit-on voir ici un jeu de mot entre le prénom du vétéran casamançais et l’abbé Augustin Diamacoune Senghor (1928-2007), dirigeant indépendantiste de la Casamance et dont le père était l’un des membres fondateurs et militants actifs du BDS (« Bloc Démocratique Sénégalais ») ? Seule l’auteure pourrait répondre à cette interrogation. "En 1982, Diamacoune évoquait publiquement l’idée d’une nation casamançaise, dont Aline Sitoé Diatta était présentée à la fois comme l’héritière et la testatrice :
"Le message de la Reine Alinsiitowé Diatta de Cabrousse est essentiellement l'Annonce des Temps Nouveaux, par le Renouveau de la Nation Flup, prélude à un Renouveau plus vaste : celui de la Nation Casamançaise qu'elle était en train de bâtir non par les armes meurtrières, mais par l'union des cœurs et des esprits, dans un commun vouloir de vie commune."" (Sources halshs.archives-ouvertes.fr)
Ce qui fait la différence :
Je souhaite saluer le travail titanesque effectué par Karine Silla en termes de recherches historiques. L’auteure nous replonge dans une part de l’histoire du Sénégal et de la Casamance souvent ignorée de beaucoup.
« En avril 1888, trente-deux ans avant la naissance d’Aline, les Portugais signent une convention de départ. La France, déjà installée sur plusieurs territoires du Sénégal, jette son dévolu sur la Casamance. Tout le monde a entendu les bruits qui courent les couloirs. Le Paradis c’est là-bas. » (P.41)
Elle y décrit également avec une grande vivacité les trois jours durant lesquels Dakar fut bombardée par les hommes de De Gaulle, la France Libre… en désaccord avec le gouverneur de Dakar, Boisson, resté fidèle à Vichy et au général Pétain.
« Un des avions français de De Gaulle tourne au-dessus du quartier de la Médina avec l’ordre de bombarder. […] Une pluie d’obus tombe du ciel. Les toits des maisons explosent. Certaines maisons voisines dans le quartier européens s’écroulent. Les murs défoncés surprennent les habitants tout juste sortis du lit. C’est l’apocalypse, la fin du monde. » (P.190)
Lorsque l’on connait l’histoire d’Aline Sitoé Diatta, on sait d’avance qu’il ne pourra y avoir de happy end dans ce roman. Pourtant, jusqu’au bout, on veut y croire et se dire que, quelque part, l’âme de la prêtresse casamançaise, la guerrière pacifique qui a su redonner foi, espoir et volonté à son peuple, au péril de sa vie, demeurera éternelle.
« J’espérais vivre longtemps. Je n’atteindrai pas le quart de siècle. Je me souviens avoir regardé le visage d’une vieille femme quand j’avais cinq ans et je savais déjà que je n’aurais jamais ce visage. Mais si je compte chacun de mes pas, comme on passe une graine de chapelet, j’aurai marché, dans ma vie, à peu près deux millions huit cent quatre-vingt mille chapelets. C’est long. Merci mon Dieu, je suis reconnaissante de tant de choses. » (P.286)
Aline aurait eu 100 ans cette année (1920-2020). Au regard de son parcours extraordinaire, il semble surprenant que son histoire ait si peu traversé les frontières de son pays. On a voulu la faire disparaitre, car sa non-soumission au régime totalitaire colonialiste en dérangeait plus d’un à l’époque. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Pourquoi parle-t-on encore si peu d’elle dans les livres d’Histoire ? Je pense qu’il est largement tant que le monde la découvre et la remercie pour le combat non violent qu’elle a mené, au péril de sa jeune vie.
Belle lecture à vous et merci à l’auteure pour l’écriture de ce livre!
304 pages / Aout 2020 / Les Éditions de l’Observatoire
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