La carte postale est un roman historique qui retrace l'histoire de famille de l'auteure, une filiation qui remonte jusqu'à un siècle en arrière, à la génération de ses arrières et arrières grands-parents maternels.
Tout débute en janvier 2003, lorsque sa mère, Lélia, reçoit une carte postale dans sa boite au lettres. Sur cette missive, 4 prénoms : Ephraim, Emma, Noémie, Jacques. Il s'agit des grands parents, de la tante et de l'oncle de Lélia. Tous déportés durant la Seconde guerre mondiale. Tous exterminés dans les camps de l'enfer du IIIème Reich. La lettre n'est pas signée, l'écriture méconnaissable, hachée, presque hésitante, peut-être même menaçante.
Ce n'est que vingt ans plus tard, après être devenue elle-même mère, qu'Anne Berest se lance à la recherche de l'auteur/auteure de cette carte postale. L'évènement déclencheur c'est le jour où la fille de l'écrivaine demande à sa grand-mère si elle est juive. La mamie répond par l'affirmative et, trouvant la question surprenante, interroge sa petite-fille. Génée, l'enfant répond qu'à l'école, "on aime pas trop les juifs". Anne Berest se souvient alors de cette fameuse carte postale anonyme et décide d'enquêter pour retrouver l'expéditeur.
Grâce à sa mère, qui détient une grande quantité d'archives, à la fois sur cette période historique, mais également sur la famille Rabinovitch qui, sur trois générations a vu le danger de mort peser sur eux de par leur origines juives, Anne Berest se lance dans une aventure jonchée de sépultures et de fosses communes, depuis la Russie à la fin des année 1800, en passant par la Pologne, la Lettonie, la Palestine, et enfin, la France. La France, ce pays que beaucoup de familles juives considéraient à l'époque comme une terre d'accueil sur laquelle elles pourraient enfin vivre en paix et en devenir des citoyennes et des citoyens à part entière.
Ce roman historique et autobiographique est une sacrée réussite ! Je vous en conseille vivement la lecture. Sorti depuis 2021, et ayant beaucoup fait parler de lui, j'ai longtemps hésité avant de plonger dedans. Ayant lu déjà de nombreux ouvrages sur cette période, comme Si c'est un homme (Primo Levi) ou la saga de La bicyclette bleue (Régine Deforges) pour ne citer qu'eux, je me demandais si je ne risquais pas de rapidement me lasser de l'ouvrage. Je me trompais. J'ai découvert de nombreux nouveaux éléments avec La carte postale, notamment le fait que seulement 3% des élèves juifs avaient accès à l'enseignement supérieur en France (Loi du 21 juin 1941, sous le Régime de Vichy). Mais dès 1881, La Russie pratique déjà cette politique à travers ses lois de Mai et ses "Règlements Intérieurs". Des quotats stricts empêchent les citoyens juifs d'accéder à l'Enseignement secondaire, supérieur et à de nombreuses professions. C'est ainsi qu'en 1881 et 1920, plus de 2 millions de juifs vont fuir la Russie, dont la famille Rabinovitch.
Comme le souligne l'auteure, il y a trois livres dans ce roman : une enquête qui dans la vraie vie aura duré 4 ans (et 4 mois dans le roman), une saga familiale sur 6 générations (celle des Rabinovitch), et enfin une quête d'identité qui questionne sur ce qui signifie d'être juive quand on est laique.
La carte postale anonyme est le fil d'Ariane de ce superbe roman qui aurait tout aussi bien pu s'appeller "l'enfant d'une survivante" et qui serait tout-à-fait propice à une adaptation cinématographique.
512 pages / Sorti en aout 2021aux Editions Grasset
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