
Je découvre l’écriture de Pierre Lemaitre à travers son dernier roman historique autour d’une histoire de famille, celle des Pelletier, installés depuis de nombreuses années au Liban et propriétaires d’une savonnerie qui porte le même nom. Louis et Angèle, les parents, dirigent un établissement dont la réputation n’est plus à faire. Ils ont trois fils et une fille, tous majeurs.
Après avoir tenté de satisfaire les aspirations de son père en reprenant les rênes de la savonnerie, Jean, l’aîné, finit par quitter Beyrouth avec son épouse Geneviève, et tente sa chance à Paris. Mais à la sortie de la guerre, le travail ne court pas les rues. François quitte également le pays, direction la capitale française. Il ment à ses parents en leur affirmant avoir réussi le concours de l’École Normale, mais il n’a qu’un rêve : devenir un grand journaliste. Étienne est tombé amoureux de Raymond, un beau légionnaire belge qui se retrouve muté en Indochine dès le début du roman. Hélène, la dernière de la fratrie entretient une relation toxique et souterraine avec l’un de ses enseignants, bien plus âgé qu’elle, et aux fâcheuses tendances perverses.
Ce roman-fleuve est divisé en trois parties. Dans la première, nous sommes en mars 1948. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à l’époque des Trente Glorieuses. La vie parisienne de Jean, Geneviève et François est rythmée par les différents soulèvements sociaux et économiques qui ébranlent le pays. Sans nouvelles de Raymond depuis quelques semaines, Étienne décide de le rejoindre à Saigon. Il décroche un poste à l’Agence des monnaies et mène son enquête en sous-marin pour tenter de retrouver son « cousin ». Hélène n’a qu’une seule idée en tête : quitter le domicile familial et le Liban pour rejoindre ses deux frères aînés à Paris.
Mon personnage favori reste celui d’Étienne. Doux, sensible, rêveur, droit et intègre jusqu’à ce que… L’auteur grâce à une grande dextérité littéraire et un énorme travail de recherches en amont (voir la bibliographie à la fin de l’ouvrage) nous plonge dans l’Indochine des années 40. Aux portes de Saigon, la guerre fait rage. « Une guerre sale » entre l’Union française et le Viêt Nam. Une lutte de décolonisation sous la forme d’une guérilla et qui sera de plus en plus frontale et violente entre 1949 et 1954. Étienne essaye de ne pas couler au milieu de toute cette ineptie et se raccroche au fil du temps à des paradis artificiels.
Le personnage de Jean, surnommé « bouboule » par la famille Pelletier, se retrouve littéralement étouffé par celui de sa femme, Geneviève : ambitieuse à en avoir les dents qui rayent le parquet, imprévisible, intrigante, voire folle à lier. Avec elle, on ne sait jamais comment elle va réagir et quelles combines elle va mettre en place pour s’enrichir. Je dois avouer qu’elle m’a particulièrement tapé sur les nerfs ! Ce qui est une bonne chose et ce qui prouve que Pierre Lemaitre a su lui donner vie.
Hélène reste celle qui aura le moins retenu mon attention. Trop jeune, peut-être. Pas assez mature, moins travaillée que les personnages de ses frères aînés.
« Hélène ne détestait pas ses parents, mais la solitude était telle depuis le départ d’Étienne qu’elle avait reporté sur eux toute la hargne dont elle était capable. C’était un tempérament entier, peu enclin à la concession et qui puisait volontiers ses ressources dans la provocation.
Lorsqu’elle se sentait perdue ou incertaine, la déviance lui offrait une logique. » (P.108)
Quant à François, l’homme de plume, prêt à tout pour décrocher la Une dans Le Journal du Soir, son personnage nous offre un bel aperçu historique de cette période de répression politique et économique française après la Seconde Guerre mondiale.
« Quelle République voulons-nous ?
Ce n’est pas d’hier que nous nous alarmons des violences de la police. Récemment encore, à Firminy, on a vu à quelles brutalités elle pouvait en venir. Si nous convenons que la police a parfois fort à faire avec des manifestants, voire des activistes violents, il n’est pas opportun de rappeler que son métier consiste à maintenir ou à rétablir la paix et non à souffler sur les braises. Or, c’est exactement ce qui vient de se passer, ce 11 novembre, sur les Champs-Élysées, à Paris. » (P.505)
Vous l’aurez compris, Le Grand Monde est un excellent ouvrage que je vous invite à découvrir si vous aimez les romans historiques et les secrets de famille, sur fond de meurtres et d’enquêtes.
592 pages / Paru en janvier 2022 chez les Éditions Calmann Levy
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