Le roman s’ouvre sur le décor silencieux d’un monastère italien dans lequel un homme âgé est sur le point de mourir. Nous sommes en 1985 et depuis quarante ans ce personnage énigmatique qui, à la différence de tous les autres, n’est pas un religieux, est venu trouver refuge dans cette demeure coupée volontairement du monde.
« Le mourant se débat, ouvre les yeux, les referme. L’un des frères jure y avoir lu de la joie - il se trompe. On pose un linge frais sur son front, sur ses lèvres, avec douceur. Le malade s’agite encore et pour une fois, tous sont d’accord. Il essaie de dire quelque chose. » Page 11
Cet homme, c’est Michelangelo Vitaliani, Mimo, l’un des plus grand sculpteur de pierre du vingtième siècle. Un homme né dans la pauvreté, en France, et qui, à la mort de son père est renvoyé en Italie, auprès d’un « oncle », lui aussi sculpteur, et censé d’occuper de lui.
« Mon oncle Alberto n’était pas mon oncle. Nous n’avions pas le moindre atome de sang en commun. Je ne parvins jamais à éclaircir totalement l’affaire, mais son grand-père avait apparemment une dette vis-à-vis du mien, un prêt non remboursé dont la charge morale se transmettait de génération en génération. » Page 34
Entre violences corporelles, rabaissements, humiliations et pauvreté, Mimo grandit - mais pas tant que çà car il souffre de nanisme - et commence à exploiter son don pour la sculpture de la pierre. A Savone (en Ligurie, Italie Nord-Ouest), Mimo se lie d’amitié avec Viola, riche héritière de la famille Orsini qui règne en maîtres absolus sur la région. Viola et Mimo ont le même âge, mais pas les mêmes réalités. Qu’à cela ne tienne, l’amour et l’amitié que ces deux-là vont se porter sauront dépasser toutes leurs vies les frontières de la matière. Mimo est trop petit, mais il a du talent à revendre. Viola est trop intelligente, trop libre, pour accepter de vouer sa destinée à devenir la femme soumise d’un noble.
Le destin les séparera, mais saura aussi les réunir lorsque cela sera nécessaire. Tous les deux insatiables d’une soif de vivre, ils traverseront, chacun à leur manière, deux guerres mondiales sur fond d’une Italie dangereuse et de plus en plus fasciste. Toute sa vie, Mimo tentera de protéger Viola, et de son côté, Viola, qui n’est pas née au bon siècle, poussera Mimo à dépasser ses propres limites.
Veiller sur elle est le quatrième roman de Jean-Baptiste Andrea, qui est également scénariste et réalisateur. Ce n’est pas tant le fait qu’il ait gagné le Goncourt 2023 qui m’a donné envie de le lire, mais plutôt le contexte historique et l’histoire en elle-même. J’avoue ne pas avoir été très convaincue au départ dans le fait de me lancer dans un ouvrage de presque 600 pages sans n’avoir rien lu au préalable de cet écrivain, et me demandant si le spectre de la notoriété autour de « l’effet Goncourt » valait vraiment la peine de plonger dans Veiller sur elle. Ma conclusion est sans appel : j’ai été conquise ! L’écriture d’Andrea est à la fois subtile, violente, percutante, douce, libre et décomplexée.
En un mot : c’est un conteur qui sait vous garder éveillé jusque tard dans la nuit. On commence à lire et on se dit : « allez, encore un chapitre. Puis un autre, puis un autre… » Bref, le pavé de 600 pages est engloutit en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
Veiller sur elle est une histoire d’amour et d’amitié qui dépasse les clichés et les époques, c’est l’histoire de jumeaux karmiques, comme s’amuse à le dire Viola. C’est une belle histoire, au sens littéraire et humain du terme !
592 pages / Sorti aux Editions de l'Iconoclaste en aout 2023 / Prix Goncourt 2023
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