Où allons-nous ? À Paris, au départ, mais principalement au Sénégal.
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Ce roman relate les sept jours de la vie d’une « petite-fille de quarante-cinq ans » d’origine sénégalaise, émigrée en France depuis vingt-cinq années. Rapidement, Yandé embarque pour son pays natal, se devant de remplir des obligations familiales. Mais cette semaine va marquer le reste de son existence à tout jamais. Entre rites de passage de l’enfance à l’âge adulte, entre introspection et universalité, entre blessures profondes et guérison, c’est dans son passé que Yandé ira déterrer les clés de son avenir.
« Le chemin du retour est inévitable ! » avait conclu son dernier thérapeute. Elle ne pouvait plus différer ». P.27
Élevée sans amour ni éducation par sa tante maternelle après le décès de sa mère, elle s’est retrouvée en France, mariée à dix-huit ans à un cousin lointain austère et brutal, un homme incapable de lui prodiguer sécurité et équilibre. De cette union arrangée naîtront deux petites filles.
« Au début de leur mariage, il lui arrivait de se rebiffer. Elle avait vite compris que c’était inutile et que chaque mot prononcé attisait la violence de l’homme. À la violence verbale avaient succédé les coups. » P. 16
Faible, perdue et toujours emprisonnée par ses vieux démons du passé, elle débarque à Dakar, réceptionnée à l’aéroport par sa cousine Arame, chez qui elle va loger durant son séjour.
« C’est à genoux, exténuée, qu’elle foule la terre de son pays. Elle est perdue, désorientée, prise d’affolement. » P. 27
Bercée par l’énergie de la terre d’Afrique, les nuits de Yandé deviennent alors très particulières. Entre rêves et voyage initiatique, certaines révélations lui sont offertes. Guérir ou périr semble désormais les deux seules issues possibles pour « la petite fille de quarante-cinq ans ».
« Voici qu’à nouveau, elle était plongée dans un vide sans fin qui l’absorbait sans qu’elle puisse y résister. Si ce voyage ne tenait pas ses promesses, y survivrait-elle ? » P. 35
« Maman, pourquoi m’as-tu abandonné ? » […] « Non, petite, je ne t’ai pas abandonné. Je t’aime tant, ma petite fille. Ne te fie pas aux apparences. Il faut avoir connu le manque pour savourer la plénitude. Et toute chose dans la vie a besoin de son contraire pour clamer son existence. » P.37
Le ganalé* de la tante marque le point ultime de ce voyage initiatique, à la fois salvateur et rédempteur pour « la petite-fille de quarante-cinq ». Pour l’auteure engagée qu’est Fatimata Diallo Ba, l’apogée du roman, le passage du ganalé, est également l’occasion d’explorer les failles de la société sénégalaise. « Qu’est-ce qui le plus important ? » semble-t-elle poser comme question à son lectorat, en toile de fond. Faire son devoir de prières et travailler à l’élévation de son âme durant ce passage sur terre, ou montrer à qui veut le voir à quel point on nage dans l’opulence ?
* Réception donnée en l’honneur des pèlerins revenus de la Mecque.
À mon humble avis :
Bercée depuis sa plus tendre enfance dans un milieu littéraire parsemé de maintes lectures, Fatimata Diallo Ba est incontestablement à la croisée de deux cultures : l’africaine et l’européenne. Femme de tolérance, auteure accomplie, poète à ses heures, enseignante de lettres modernes et classiques, elle signe ici un premier roman d’une pure beauté littéraire et d’une vérité criante. Lors d’interviews, elle présente toujours son parcours de vie avec beaucoup d’humilité, le qualifiant de « très lisse, très classique », mais ne vous y trompez pas ! Ni l’auteure ni son roman ne vous laisseront de marbre.
« Écrire, crier. À la lettre près, le même mot. Écrire pour que les cris, bouche cousue et pliée de souffrance et d’obéissance, Trouvent leur voie et cessent de saper les fondements comme des rivières perdues. Crier le refus de l’humiliation, hurler sa liberté comme un loup ivre, un soir de pleine lune. Écrire ses blessures pour avoir une chance de les refermer. Crier la douleur de ses frustrations. Écrire son droit à l’expression et à l’existence. Crier son désir de vivre. Écrire pour ne pas mourir. Crier pour vivre. Écrire et crier pour ne jamais cesser d’aimer. »
Fatimata Diallo Ba, Avant-propos dans Des cris sous la peau
Ce qui fait la différence :
L’auteure dénonce le silence imposé aux enfants dont on a volé le passé, la joie de vivre et l’épanouissement qui leur auraient permis de grandir sereinement. Dans son ouvrage, Fatimata Diallo Ba se fait le porte-parole de tous ces enfants maltraités en mettant en exergue, avec ses mots, ces violences intolérables subies par la jeunesse et par les femmes.
« Grandir est une compétence. Il ne s’agit pas juste de « pousser un âge ». Non, tout le monde pousse en âge. Mais grandir, devenir adulte dans sa tête, assumer ses choix, assumer ses frustrations, pour pouvoir avancer dans la vie, cela s’apprend. Parfois, nous restons figés dans l’enfance parce que quelque chose nous bloque et nous empêche de grandir. C’est cet aspect-là que j’ai voulu explorer à travers Des cris sous la peau. Fatimata Diallo Ba.
Avec Fatimata Diallo Ba, on s’interroge également à juste titre sur la condition de la femme en Afrique : courageuses, dévouées, travailleuses, porteuses de leur nation, et pourtant si peu considérées, si peu reconnues à leur juste valeur. À travers son texte, c’est un message d’espoir, profondément émancipateur, qu’elle adresse à toutes ces femmes.
Grâce à l’auteure, nous découvrons que la paix intérieure réside dans le partage, l’amour sincère et la liberté, quelles que soient les souffrances qui ont été endurées dans le passé de chacun. La rédemption trouve son chemin à travers le pardon : un pardon octroyé aux autres, mais avant tout un pardon offert à soi-même. Le verbe, également, sera libérateur. Il soignera Des cris sous la peau chez cette « petite-fille de quarante-cinq ans », et lui permettra, qui sait, de devenir une femme. S’octroyer le droit d’exprimer à voix haute les souffrances que l’on a endurées est déjà en soi une opportunité de guérir de son passé et de se libérer de ses bourreaux. Mais cela requiert un profond courage.
Fatimata Diallo Ba signe ici son premier roman avec brio. Et lorsque vous débuterez cet ouvrage, je peux vous garantir que vous ne le lâcherez plus, car Yandé saura capter toute votre attention. Vous l’accompagnerez jusqu’au bout de son voyage, d’une traite. L’auteure nous a promis deux autres livres sous peu. Nous avons grande hâte de les découvrir.
Bravo à l'auteure et belle lecture à vous !
146 pages / juin 2018 / Aux Presses Panafricaines
Réédition en janvier 2022 aux Editions Harmattan Sénégal
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