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L’ÎLE AUX ARBRES DISPARUS – Elif SHAFAK – Roman


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L'île aux arbres disparus

« Il était une fois un souvenir, à l’autre bout de la Méditerranée, où s’étendait une île si belle et si bleue que les nombreux voyageurs, pèlerins, croisés, marchands qui en tombaient amoureux souhaitaient ne plus jamais en repartir, ou tentaient de la remorquer par des cordes de chanvre jusque dans leur pays. » Cette île, c’est Chypre. Un petit bout de terre aux confins de la Mare Nostrum, le cœur marin de la Turquie, du Liban, d’Israël de l’Égypte.


Chypre, 1974. Defne et Kostas sont deux jeunes amoureux qui, la nuit, se retrouvent en cachette pour partager leurs rêves, leurs idéaux, leur passion l’un pour l’autre. Mais voilà, comme dans la fameuse tragédie shakespearienne, leurs religions et origines divisent leurs familles : Defne est Turque, musulmane. Kostas est grec, catholique. Si les gens venaient à découvrir les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, ils courraient un grave danger, et leurs proches avec.


« Car c’est un pays sans frontière, le corps d’un amoureux. On le découvre, non d’un seul coup, mais pas après pas anxieux, on perd son chemin, son sens de l’orientation, en parcourant ses vallées ensoleillées et ses champs à perte de vue, en savourant sa chaleur et son accueil, puis, caché dans des coins silencieux, en débouchant dans des grottes invisibles et inattendues, des ravines où on trébuche et se blesse. » (P.101)


Angleterre, fin des années 2010. Ada est une adolescente sensible et renfermée depuis la mort de sa mère l’année dernière. Elle vit seule avec son père, un chercheur botaniste qui a consacré sa vie aux plantes. Il se nomme Kostas Kazantzakis. Ses parents ne lui ont jamais parlé dans leurs langues maternelles. Elle n’a aucun détail sur l’histoire de sa famille. Un jour, en plein cours, alors son professeur lui demande de prendre la parole pour donner son opinion au sujet de la réflexion d’un camarade de classe, elle se déconnecte de la réalité et se met à hurler, sans raison apparente. Certains élèves profitent de l’incident pour la filmer en cachette et diffuser plus tard la vidéo sur les réseaux sociaux.


La présentation de ce roman ne serait pas complète si je passais sous silence la place prépondérante du figuier. Et oui, dans L’île aux arbres disparus, il y a un narrateur fort déconcertant : un figuier ancestral, une plante d’une toute beauté qui partage avec le lecteur ses souvenirs, ses émotions, et ses réflexions. Son intronisation dans l’ouvrage est déroutante car, au départ, on ne sait pas qu’il s’agit d’un arbre :


« Cette après-midi-là, tandis que les nuages orageux s’abattaient sur Londres et que le monde se teintait de mélancolie, Kostas Kazantzakis m’enterrait dans le jardin. Le fond du jardin, en fait. Normalement j’aimais bien cet endroit, au milieu des camélias luxuriants, du chèvrefeuille au doux parfum et des fleurs en pattes d’araignée de l’hamamélis, mais ce n’était pas un jour normal. Je tentai de me réconforter en pensant au bon côté de la médaille. Ce qui n’arrangea rien. J’étais nerveux, empli d’appréhension. On ne m’avait encore jamais enterré. » (P.32)


Je m’arrêterai là pour les intrigues, sous peine de trop vous en révéler sur l’histoire de L’île aux arbres disparus.


Sorti en version française en janvier dernier, c’est le premier roman que je lis de l’auteure. Mon opinion : mitigée. Pourquoi ?


D’un côté, Elif Shafak s’avère être une grande conteuse. Elle nous embarque dans un univers où guerre, amour et légendes s’entremêlent comme des lianes autour du tronc d’un arbre puissant et majestueux. Par ailleurs, le personnage de la tante maternelle, attentionnée et superstitieuse, Meryem, apporte un vrai plus au roman. Elle nous permet de découvrir les croyances culturelles profondément ancrées chez les Chypriotes, à la fois Turcs et Grecs. Je dois avouer m’être délectée de ses dictons et proverbes à tout-va.


« La nourriture c’est le cœur de la culture, répliqua Meryem. Si tu ne connais pas la cuisine de tes ancêtres, tu ne te connais pas toi-même. » (P.171)


En parallèle, l’histoire d’amour impossible entre Kostas et Defne, l’exode, la guerre civile, ne m’ont pas laissé insensible, loin de là.


« Ils appellent ça la « ligne verte », la démarcation qui partage Chypre, visant à séparer les Grecs des Turcs, les chrétiens des musulmans. Si elle a reçu ce nom, ce n’est pas parce qu’elle traversait des kilomètres de forêt primitive mais tout simplement parce qu’un général de division britannique, voulant dessiner la frontière sur une carte étalée devant lui, se trouvait avoir en main un crayon indélébile vert. Le choix de la couleur n’était pas un hasard. Le bleu aurait paru trop grec et le rouge trop turc. » (P.175)


Les réflexions de l’auteure, disséminées à la manière de la sève qui irrigue la plante, sont extrêmement pertinentes. Et je rajouterai même qu’aujourd’hui je ne regarde plus le monde végétal de la même façon.


« Les figues sont sensuelles, tendres, mystérieuses, émotives, lyriques, spirituelles, autonomes et introverties. Les caroubes veulent que tout soit sans mélo, matériel, pratique, mesurable. Interrogez-les sur les mouvements du cœur, vous n’obtiendrez aucune réaction. Pas le moindre frémissement. Si un caroubier devait raconter cette histoire, je vous garantis qu’elle serait très différente de la mienne. » (P.149)


J’éprouve une opinion mitigée en refermant ce livre dans le sens où je trouve que la fin aurait pu être plus nourrie et moins rapide à mon goût. Alors, certains diront que le livre se déroule déjà sur plus de 400 pages et qu’à un moment donné, il faut bien conclure. Soit, mais quand même, j’aurais aimé en savoir un peu plus sur ce que deviendront la jeune Ada et le figuier. Pour autant, L’île aux arbres disparus est un excellent roman dont je vous conseille vivement la lecture. Et je découvre à travers la plume d’Elif Shafak une auteure accomplie aux recherches extrêmement bien documentées.


Je vous laisserai sur cette réflexion pleine de sens qui résume bien, selon moi, la pensée de cet ouvrage :


« Alors que les religions se battent pour avoir le dernier mot, que les nationalismes enseignent un sentiment de supériorité et d’exclusivité, les superstitions des deux côtés de la frontière coexistent en exceptionnelle harmonie. » (P. 162)


Belle future lecture à vous et bravo à l’auteure.


432 pages / Sorti en version française en janvier 2022 chez Flammarion.


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