Où allons-nous ? Entre la Suisse et la France
À quelle époque ? Dans les années 90
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Emmanuel Carrère est un écrivain, scénariste et réalisateur français. En janvier 1993, il se lance dans l’écriture d’un livre, L’Adversaire, autour de « l’affaire Jean-Claude Romand », qui, à l’époque, défraye la chronique. Il finira finalement son livre en 1999, après de nombreuses années de recherches et de longues pauses, et le qualifiera non pas de roman, mais d’une « non-fiction novel ».
Mais qui est Jean-Claude Romand et pourquoi Emmanuel Carrère a-t-il fait le choix de lui consacrer un livre et plus de six ans de sa vie ? Je pourrai répondre à la première question, mais pas à la seconde.
Dans la nuit du 09 janvier 1993, Romand tue sa femme, Florence, en lui fracassant le crâne avec un rouleau à pâtisserie. Le lendemain matin, après leur avoir servi le petit-déjeuner, il tue ses enfants, Caroline et Antoine (cinq et sept ans) avec une arme à feu. Il prend ensuite sa voiture pour se rendre chez ses parents, qu’il tue également avec une carabine. Il tentera également de tuer sa maîtresse, en vain, et, à la fin de son procès, le doute planera toujours autour de la mort « accidentelle » de son beau-père, qui a fait une chute dans l’escalier quelques années plus tôt. Et au moment des faits, seul Romand était présent.
Mais Romand n’est pas seulement coupable d’homicide, d’infanticide et de parricide, il a aussi menti pendant plus de dix-huit ans à sa famille et à ses proches, au sujet de tout. Il leur a fait croire qu’il était médecin chercheur pour l’OMS. Or, il n’a jamais terminé ses études de médecine. Et pour leurrer son monde sur ses finances et ses dépenses exorbitantes, il a volé et escroqué ses amis, ses beaux-parents, ses parents, et même sa maîtresse en détournant des centaines de milliers de Francs que ces derniers lui avaient confiés pour placement (fictifs) sur des comptes en Suisse.
À mon humble avis :
Ce livre est incontestablement l’un des ouvrages que j’ai eu le plus de mal à lire! Non pas que l’écriture de l’auteur soit trop soutenue pour moi, non. Le style est fluide et totalement accessible. C’est le sujet principal du livre qui m’a donné du fil à retordre. Je me suis souvent demandé : pourquoi Carrère a-t-il choisi de consacrer son temps et son écriture à un assassin psychopathe et un menteur invétéré ? A-t-il eu de la compassion pour cet homme ? De la fascination ? Qu’a dû ressentir sa belle-mère (la mère de sa femme) en apprenant la nouvelle au sujet de la sortie de ce livre ? Qu’ont ressenti tous ceux qui ont connu la famille Romand, de près ou de loin ? En essayant de rester la plus objective possible, la seule affirmation que je peux soutenir, c’est que si le travail d’un auteur réside dans le fait de faire vivre des émotions à ses lecteurs, quelles qu’elles soient, le pari est réussi.
Ce qui fait la différence :
Sans équivoque, la thématique du livre !
Il faudra trois ans pour préparer le procès de Jean-Claude Romand. L’auteur y assistera, rentrera en relation avec lui par correspondances. Il ira même le voir une fois en prison et retracera le chemin jusqu’à sa maison familiale et celle de ses parents, dans le Jura. Emmanuel Carrère tentera de s’immiscer dans les méandres de la pensée d’un psychopathe, tueur et menteur.
Lorsque Romand sera interrogé au sujet des crimes qu’il a commis, il dira ne pas s’en souvenir… Et, finalement, Carrère nous expliquera que c’est en prison que Romand trouvera la foi.
« Pour les croyants, l’instant de la mort est celui où on voit Dieu, non plus dans un miroir obscurément mais face à face. Même ceux qui ne croient pas croient quelque chose de ce genre : qu’au moment de passer de l’autre côté les mourants voient en un éclair défiler le film entier de leur vie, enfin intelligible. Et cette version qui aurait dû avoir pour les vieux Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, prenant les traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan, c’est-à-dire l’Adversaire. » (P.28)
Condamné en juillet 1996, il sera finalement libéré en juin 2019, sous conditions et port d’un bracelet électronique.
La première parution de L’Adversaire est sortie en 2000 chez P.O.L. Le livre a été adapté au cinéma par Nicole Garcia en 2002, avec, dans le rôle principal, Daniel Auteuil. Pour voir la bande-annonce, cliquer ici.
Pour la première fois dans mes chroniques, impossible de vous souhaiter une belle lecture !
224 pages / Mai 2001 / Éditions Folio
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