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LE BAL DES FOLLES – Victoria MAS – Roman


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Le bal des folles - Victoria Mas

Paris – 1885. Dans cette société française bourgeoise, conformiste et patriarcale, il ne fait pas bon vivre d’être différente. En cette fin du XIXe siècle, un médecin a su se bâtir une solide réputation dans le milieu des sciences et de la médecine : c’est le Professeur Charcot qui officie à l’hôpital de La Salpêtrière. À l’école de la Salpêtrière, il mène ses travaux sur l’hystérie, notamment sous hypnose. Les séances sont souvent spectaculaires pour les médecins qui viennent apprendre à ses côtés. Mais le revers de la médaille, moins glorieux et longtemps passé sous silence de ses avancées médicales, c’est la manière dont sont traitées les patientes internées à la Salpêtrière. Dans ce premier roman, Victoria Mas lève le voile du silence sur les tortures, à la fois physiques et psychologiques, que toutes ces femmes ont enduré durant des années.


Louise a 16 ans. Depuis trois ans, elle est internée à la Salpêtrière. Elle est atteinte d’hystérie sévère. Mais comment ne pas perdre la raison lorsqu’on a été, enfant, à la merci de la plus grande des bassesses d’un homme?


« Depuis qu’elle est à la Salpêtrière, en trois ans nous avons recensé chez elle plus de deux cents attaques d’hystérie. La mise sous hypnose va nous permettre de recréer ces crises et d’en étudier les symptômes. » (P.6)


Geneviève est la plus ancienne infirmière du service. Elle est très fière de travailler depuis vingt ans pour celui qu’elle considère comme le plus grand médecin de Paris, celui qui « remplit chaque semaine les bancs de l’auditorium ».


« Geneviève connaît chaque étape du rituel. D’abord le pendule qu’on balance doucement devant le visage de Louise, son regard bleu immobile, le diapason qu’on fait retentir, une fois, et la jeune fille qui tombe en arrière, son corps léthargique rattrapé de justesse par deux internes. Les yeux clos, Louise se soumet à la moindre demande, effectue des gestes simples pour commencer, lève le bras, tourne sur elle-même, plie une jambe en petit soldat obéissant. […] Finalement, au terme d’une crise qu’on lui a imposée, elle s’effondre dans un bruit sourd sous les regards abasourdis. » (P. 7-8)


Dans le service de Charcot, dit « le service des hystériques », il n’y a que des femmes, âgées de 13 à 65 ans. Geneviève a appris à ne pas s’émouvoir du sort des « aliénées ». « Aucune histoire ne la trouble » depuis la fois où, à ses débuts d’infirmière, une des patientes a manqué de la tuer lors d’une crise. Dorénavant, pour Geneviève, « la maladie déshumanise ; elle fait de ces femmes des marionnettes à la merci de symptômes grotesques, des poupées molles entre les mains de médecins qui les manipulent et les examinent. »


Tous les ans, à la Mi-Carême, un événement « festif » vient égayer le sombre et monotone quotidien des pensionnaires du service de Charcot : un bal costumé durant lequel les « aliénées » ont le droit de se vêtir de costumes et de danses, de défiler devant le Tout-Paris. Des médecins, des notaires, des préfets, des aristocrates…


Eugénie Cléry a 19 ans. Fille d’un notaire parisien réputé, elle est née dans une famille où la femme n’a pas son mot à dire et ne doit surtout pas faire preuve de savoir, d’intelligence ou d’opinion. Sa seule valeur est celle de future épouse. Elle vit auprès de ses parents, de son frère, Théophile et de sa grand-mère paternelle dont le mari est décédé il y a de nombreuses années. La seule avec laquelle elle partage quelques moments d’intimité et de douceur, c’est sa grand-mère, certainement parce qu’elle montre à Eugénie plus d’affection que se propre mère, soumise corps et âme à son mari.


« — Ma petite Eugénie. Ta plus grande qualité sera ton plus grand défaut : tu es libre. » (P.19)


Mais voilà, en plus d’être un esprit insoumis, Eugénie voit et entend des choses qu’elle ne devrait pas, depuis l’âge de 12 ans : les défunts. Pourtant, elle tait son secret à tous, de peur de finir chez les « folles ». Lorsqu’un jour, elle lit en cachette Le livre des Esprits, d’Allan Kardec, elle réalise qu’elle n’est pas la seule à ressentir des choses inexplicables.


« Il lui a fallu attendre sept ans pour que ces pages la révèlent à elle-même. Sept ans, pour ne plus se sentir la seule anormale au milieu de la foule. » (P.41)


Ce premier roman historique de Victoria Mas nous plonge dans une atmosphère particulièrement angoissante et révoltante. Les femmes, pour peu qu’elles soient différentes, insoumises, émancipées, fragilisées, victimes, sont internées dans le service de Charcot. Là-bas, pour « les soigner », on emploie des méthodes « thérapeutiques » inhumaines et barbares :


« On les nomma hystériques, épileptiques, mélancoliques, maniaques ou démentielles. Les chaînes et les haillons laissèrent place à l’expérimentation sur leurs corps malades : les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d’hystérie ; l’introduction d’un fer chaud dans le vagin et l’utérus réduisaient les symptômes cliniques ; les psychotropes – nitrite d’amyle, éther, chloroforme – calmaient les nerfs des filles ; l’application de métaux divers – zinc et aimants – sur leurs membres paralysés avait de réels effets bénéfiques. Et, avec l’arrivée de Charcot au milieu du siècle, la pratique de l’hypnose devint la nouvelle tendance médicale. » (P.74)


Merci à l’auteure pour cet ouvrage qui rend hommage à toutes ces femmes et ces jeunes-filles qui, pendant longtemps, n’ont eu droit à aucune compassion ni considération de la part de qui que ce soit, et dont, longtemps, on a ignoré l’existence. Victoria Mas nous offre ici une écriture qui s’inscrit dans un devoir de mémoire. Elle rend à toutes ces victimes leur place légitime et leur humanité.


« Elles ne sont plus des épouses, des mères ou des adolescentes, elles ne sont pas des femmes qu’on regarde ou qu’on considère, elles ne seront jamais des femmes qu’on désire ou qu’on aime : elles sont des malades. Des folles. » (P.12)


Le Bal des folles a remporté le Prix Renaudot des Lycéens 2019 et a été adapté au cinéma français l’an passé. Pour regarder la bande-annonce, cliquer ici.


256 pages / Sorti en août 2019 chez Albin Michel


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