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LES GRANDES OUBLIÉES - Titiou LECOQ


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LES GRANDES OUBLIÉES - Titiou LECOQ

Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes ? Voici une question vaste et pertinente à laquelle l'auteure décide de donner des éléments de réponses dans un livre chronologique qui remonte depuis la Préhistoire jusqu'à nos jours.


Alors, globalement, pas besoin d'être devin (devine - vous avez compris le jeu de mot) pour répondre à cette question : nous vivons dans un monde particulièrement masculin, régi sur l'ensemble de la planète par des lois et des us et coutumes patriarcaux. N'en déplaise aux anti-féminins qui considèrent que tout ce qui a un rapport de près ou de loin avec le féminisme est à brûler sur un bûcher (à défaut d'un soutien-gorge), c'est une vérité.

Et, résultat des courses, encore aujourd'hui, très peu de femmes historiques sont étudiées dans les manuels scolaires. "Pas du tout", répondront certains. "Il y a Olympes de Gouges et la Déclaration des droits de la femme". Formidable... Et les autres (très nombreuses!), on en parle ? Et bien oui, dans cet ouvrage, on en parle. Titiou Lecoq décrit leurs histoires singulières, leurs combats, leur résilience et leurs espoirs dans Les grandes oubliées.


On ne peut pas résumer ce type de livre comme on commenterait un roman. Du coup, je vais plutôt profiter de cet article pour vous faire découvrir, à vous aussi, quelques personnages illustres tombés dans l'oubli, et réintroduits grâce à ce livre et au travail de recherches colossal.


Commençons par la première écriture du "je", réalisée par... une femme !


"Nous sommes en Mésopotamie, dans l'empire d'Akkad, qui correspond grosso modo à l'Irak actuel. A cette époque, en Europe, c'est le Néolithique - en France, on est encore très loin de l'écriture.

Dans le territoire des deux fleuves, qu'on présente souvent comme le "berceau de la civilisation", un certain Sargon d'Akkad vient renverser le roi et a pris le pouvoir dans le Nord. Il marche ensuite sur le sud pour étendre son territoire. Il conquiert la ville d'Ur, une prestigieuse capitale sumérienne. Pour mieux contrôler son nouvel empire, il décide de nommer sa fille Enheduanna grande prêtresse d'Ur.

Mais dans la ville d'Ur, le nouveau pouvoir impérial est mal vu. Un homme, Lugal-Ane, mène un soulèvement. Il destitue Enheduanna de son statut de grande prêtresse et fait d'elle une simple guérisseuse, avant de la forcer à l'exil. On ignore quel fut exactement son attitude pendant la révolte, mais elle semblait avoir des choses à se reprocher.

Lors de son exil, elle rédige deux textes de supplication à la déesse Inanna dans lesquels elle paraît se repentir de ses fautes, sans en préciser la nature.

Ses textes sont remarquables parce qu'ils sont, jusqu'à présent, la plus ancienne trace d'un "je". Ce qu'il reste des paroles d'une femme qui disait "je" il y a quarante-trois siècles." (page 58-59)


Continuons dans l'Antiquité avec les guerrières et les citoyennes :


"Le rite d'initiation, c'était tellement un truc de mecs que dans ma tête j'ai été stupéfaite d'apprendre qu'il en existait pour les filles dans l'Antiquité Grecque, à Athènes. Cela concernait les filles nobles, avant la puberté. Malheureusement, on n'en sait pas grand-chose. Le rite s'appelait arkteia ("femme-ourse"). Réunies dans le sanctuaire d'Artémis, déesse de la nature, de la chasse et des accouchements, les filles se déguisaient en ourses sauvages : il y avait le sacrifice d'une chèvre, une fête, un mystère, et la cérémonie se finissait par une course à pied où les participantes étaient, semble-t-il, nues. C'est donc très loin de nos clichés." (page 64)

Comme le rappelle l'auteure, abandonner les rites enclenche, dans toute société, une biologisation et une catégorisation des genres. Bref, rien de très positif pour la suite...


Faisons maintenant un grand saut dans le temps, et atterrissons au Moyen âge où les femmes bâtissent des cathédrales.


"Le Moyen-Age , c'est pas l'âge des ténèbres qu'on nous a longtemps présenté. Pour bien comprendre comment vivaient alors les femmes, il faut écouter et lire l'historienne Julie Pilorget. Elle explique parfaitement comment "les femmes", çà n'existait pas, et toutes les distinctions qu'il faut faire entre campagne et ville, nord et sud, ainsi que selon l'âge. Bien sûr, le statut général des femmes était défini en fonction de leur relation aux hommes. Hormis les religieuses, elles avaient trois possibilités : vierge, mariée, veuve. Leurs droits n'étaient pas les mêmes selon les régions : le Sud était nettement plus sexiste que le Nord (désolée pour le cliché), une différence qui existait déjà entre Celtes et Romains. (...)

Mais ce qu'il faut retenir, ce qu'on ne nous a pas dit sur le Moyen Age, c'est qu'on trouvait des femmes partout. Elles n'étaient pas enfermées dans des maisons ou dans des tours gardées par des dragons. Elles faisaient la société. Il pouvait exister une division genrée du travail - par exemple les femmes étaient plus nombreuses à travailler dans le textile -, mais il ne leur était pas interdit d'exercer tel ou tel métier." (page 101-102)


Et puis, on (l'église) a diabolisé les femmes. On les a accusé d'être de grandes tentatrices, manipulatrices, servantes du Malin en personne. C'est ainsi que la date de l'année 1487 est devenue une "date malheureusement importante dans l'histoire des femmes". Cette année-là, est publié le livre "Le marteau des sorcières", "un livre abominablement misogyne, exsudant la haine des femmes, d'une violence inouïe et qui n'appelle à rien de moins que de les torturer pour déterminer lesquelles sont des sorcières. Pour ces auteurs, deux professeurs de théologie allemande, les sorciers sont un sujet mineur, la sorcellerie s'accorde au féminin." (page 128). Et c'est ainsi que s'ouvre la chasse aux sorcières, légitimée par l'Etat, l'église et les grands penseurs jusque dans les années 1630, paroxysme d'un féminicide européen massif avec entre 30 000 et 60 000 personnes envoyées au bûcher !


Puis, à partir du XVIIème siècle, la guerre contre le féminin prend une tournure linguistique et beaucoup de mots disparaissent, purement et simplement : autrice, doctoresse, archière, tavernière. "Brusquement, il a été décidé que "le masculin l'emporte sur le féminin peu importe le nombre". C'est ce qu'on apprend à l'école. A l'époque, il s'agissait bien entendu de prouver la supériorité du masculin jusque dans la langue. (...) La création de l'Académie française est pour beaucoup dans la grande entreprise de masculinisation du français. Et plus l'enseignement se massifiait, plus on en a profité pour mettre noir sur blanc les nouvelles règles et imposer ainsi cette transformation idéologique de la langue." (page 142 à 144)


Finissons cette chronique sur le siècle des Lumières dont les grands projecteurs se sont éteints sur le passage des femmes. Dans ce sens, on peut remercier les plus illustres auteurs français, comme Rousseau qui, dans l'Emile, explique que "Toute l'éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utile, se faire aimer et honorer d'eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu'on doit leur apprendre dès l'enfance."Citons également Voltaire, dans son dictionnaire philosophique à l'article "femmes", publié en 1764 : "Les femmes étant plus faibles de corps que nous, ayant plus d'adresse dans leurs doigts (beaucoup plus souples que les nôtres), ne pouvant guère travailler aux ouvrages pénibles de la maçonnerie, de la charpente, de la métallurgie, de la charrue, étant nécessairement chargées des petits travaux plus légers de l'intérieur de la maison et surtout du soin des enfants, menant une vie plus sédentaire, elles doivent avoir plus de douceur dans le caractère que la race masculine." Fin de citation...


Je vous invite à lire cet ouvrage pour y découvrir les femmes peintres de la Renaissance italienne : Sofonisba Anguissola, Lavinia Fontana, Fede Galizia ou encore Artemisia Gentileschi ; des chercheuses comme Colette Guillaumin ; des révolutionnaires comme Claire Lacombe et Pauline Léon (fondatrices de la Société des citoyennes républicaines révolutionnaires) ; des éditorialistes et des journalistes comme Louise de Kéralio, Etta Palm, Anne Félicité Colombe. "Olympes de Gouges n'est donc pas seule. Elles sont un certain nombre à écrire pour argumenter leurs exigences. Dans les assemblées, dans les journaux, dans les brochures, dans des lettres ouvertes, sur les murs de la ville, elles demandent des droits précis." (page 180)


Merci à Titiou Lecoq pour cet ouvrage particulièrement enrichissant, et belle future lecture à vous.


237 pages / Sorti en septembre 2021 aux Editions de L'Iconoclaste




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