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UN MONSTRE EST LA, DERRIERE LA PORTE – Gaëlle BELEM – Roman

Dernière mise à jour : 21 févr. 2022


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Un monstre est là, derrière la porte

Où allons-nous ? Sur l’île de la Réunion


À quelle époque ? Dans les années 80


Venez, je vous raconte de quoi il est question :


Une petite fille (dont le prénom n’est pas cité) nous raconte son histoire de vie, et par ricochet, celle de sa famille : ses parents d’abord, qu’elle insupporte au plus haut point, puis viendra la narration du reste du clan des Dessaintes, fort connu sur l’île.


«Bien sûr, ils attachaient une certaine importance au fait de nourrir, habiller et coiffer l’unique enfant qu’ils avaient mis au monde, mais jamais, absolument jamais, ils ne forcèrent le zèle jusqu’à l’instruire, pire, l’éduquer. » (P.13)


Plus nous avançons dans le roman, plus la petite fille grandit, jusqu’à devenir elle-même une jeune-femme au passé chaotique et à l’avenir plus qu’incertain.


À mon humble avis :


Que manque-t-il, selon moi, dans ce premier roman de Gaëlle Bélem ? Pas grand-chose en vérité, et c’est certainement la raison pour laquelle sa plume a su remporter le Grand Prix du Roman Métis en 2020. L’écriture est puissante, captivante, incisive. Le personnage principal est plus qu’attachant. L’histoire tient largement la route.


Mais ce qui fait défaut, c’est l’amour ! L’amour que des parents peuvent donner sans retenue à leur enfant. L’amour qui permet de s’épanouir, de croire en soi et de se construire. Ce roman m’a littéralement fait mal au cœur, car selon moi, il n’existe pas de pouvoir plus puissant que l’Amour.


Ce livre a le mérite de nous faire prendre conscience qu’à travers cette planète, de nombreux enfants sont privés d’amour dès leur naissance. Cela les transforme-t-ils en monstre ? Certainement !


Ce qui fait la différence :


Le roman nous immerge tout de suite dans une ambiance créole haute en couleur et nous offre l’opportunité de découvrir une île au passé riche et tumultueux. Un bout de terre au milieu de l’océan sur lequel plusieurs générations ont souffert dans l’indifférence totale.


« De la hutte, les fils étaient tout de même passés aux maisons en madriers empilés puis aux petites cases en bois sous tôle où vivaient d’un fond de pitié, de riz bouilli et de galettes de manioc stockées près d’une bougie, au-dessus de leur réchaud à charbon. […] 1980 : les athlétiques gaillards d’antan devinrent des âmes lymphatiques qui ne dépassaient guère les classes élémentaires. Assis au fond des salles, tiraillés par l’ennui et les lignes, ils s’efforcèrent d’abord de comprendre et ne bâillèrent que discrètement. » (P.69)


Dès le titre, on ne peut s’empêcher de se poser des questions. Qui est ce monstre derrière la porte ? Existe-t-il vraiment ? Est-il le fruit de l’imagination débordante d’une petite fille de six ans que l’on prend un malin plaisir à effrayer pour qu’elle reste sage comme une image ? Derrière quelle porte se cache-t-il ?


« ̶ Sais-tu ce qui arrive aux enfants qui montent sur les tables ? Et sans même attendre ma réponse, il enchaîna : ̶ Ils sont condamnés à être nains toute leur vie. Boutonneux et pleins de pus aussi. Exactement comme Tom le troll. Tu t’en souviens ? Ce voisin pied-bot et bec-de-lièvre qu’on a retrouvé mort, dévoré par les fourmis et grouillant de vers l’année dernière. Si Tom avait écouté ses parents, qui sait quelle vie il aurait menée ! » (P.16)


Mais le monstre de Gaëlle Bélem semble se diviser en trois éléments : la petite-fille que ses parents n’aiment pas et ne supportent pas, puis toutes les légendes que l’on nous raconte pour nous effrayer et nous obliger à obéir lorsque l’on est enfant autour de l’existence des monstres, mais aussi la montagne d’épreuves que l’héroïne de ce roman devra trouver la force de surmonter seule.


« Rue René-Descartes, le monde laissait donc peu de choix aux enfants : osions-nous siffler la nuit pour tromper le temps ? Un monstre allait arriver et aussitôt nous emporter vers un sombre repaire humide où il nous arracherait les ongles des mains l’un après l’autre et y jetterait une poignée de gros sel avant de passer nos doigts sous l’eau. Osais-je pleurnicher ? Sitarane, buveur de sang invétéré, faisait sa ronde au même moment et Dieu sait à quel point il adorait les petites couineuses à barrettes. Jouer sur le palier, la nuit tombée ? Grand-mère Kal devait déjà faire le guet à cette heure-là.» (P.23)


[Sitarane : travailleur engagé d’origine mozambicaine, il multiplia assassinats et vols dans divers endroits de l’île, sur fond d’actes de sorcellerie. Il terrorisa la Réunion à la fin du XIXème s. et en reste une des grandes figures de terreur. / Grand-mère Kal : créature monstrueuse qu’aucun Réunionnais n’a jamais vue, mais que tout le monde sait plus ou moins décrire, certainement une vieille sorcière édentée, aux ongles démesurément longs et tranchants. Idéal pour charcuter les petites filles.] (Notes explicatives de l’auteure à la fin de l’ouvrage)


Comment sortir du lot et faire un formidable pied de nez à un destin tout tracé lorsque l’on doit affronter des épreuves tel que le déterministe (c’est une Dessaintes !), la discrimination, le découragement ? C’est pourtant ce que notre petite héroïne va tenter de faire toute sa jeunesse.


« L’école prend la place de mes parents et m’apprend tout de la vie. Le meilleur souvenir que j’en garde date de la deuxième année de cours élémentaire. L’institutrice a glissé dans le sac de chaque élève un petit livre illustré.» (P.86)


Belle lecture à vous et bravo à l’auteure!


216 pages / Mars 2020 / Aux Éditions Gallimard Collection Continents Noirs / Grand Prix du Roman Métis 2020


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