Où allons-nous ? Au Sénégal, à Dakar
À quelle époque ? Contemporaine
Venez, je vous raconte de quoi il est question :
Thierno est un jeune adolescent de quatorze ans, originaire de la Casamance. Six ans plus tôt, lorsque son père décède, il se retrouve séparé de ses sœurs et confié à un maître coranique, à Dakar. Dorénavant, le quotidien de Thierno, devenu un « talibé », oscille entre mendicité forcée, expositions aux dangers de la rue, maltraitance et quelques enseignements coraniques, lorsque le propriétaire du daara* daigne rémunérer le précepteur qui dispense les cours aux vingt-cinq garçons qui habitent les lieux.
« Le talibé est un apprenti, et son maître, un marabout. À un très jeune âge, l’enfant est confié à l’érudit du Saint Coran pour qu’il prenne soin de lui et de son éducation ; mais ces dernières années, les choses avaient largement dévié de cet esprit. » (P.7)
Dans cette adversité quotidienne où la douceur et la compassion n’ont aucune place, Thierno ne peut réellement compter que sur une seule personne, son ami Tanou, lui aussi talibé et habitant le même daara. Mais ce matin-là, Tanou a disparu. Aucun signe de lui. La troupe des talibés quitte le quartier des HLM pour « le coin des riches », du côté de Mermoz, pour aller y mendier toute la journée, dans l’espoir de collecter quelques pièces de monnaie qu’ils devront remettre le soir même à leur logeur. Chaque jour, les enfants parcourent plus de cinq heures de marche. En chemin, Thierno remarque la présence de policiers et de journalistes autour d’un incident de taille :
« ̶ Bandjou, que se passe-t-il là-bas ? lui demandai-je.
̶ Un jeune talibé a été tué, j’ai entendu dire qu’il a été violé puis étranglé et abandonné dans le canal.
̶ Avez-vous vu la victime ?
̶ Non, les agents en bleu ont enveloppé le corps dans un énorme drap blanc et ils l’ont acheminé dans la camionnette rouge. » (P.9-P.10)
Et si c’était Tanou ? Il n’est pas rentré cette nuit. À partir de cet instant, Thierno décide d’enquêter sur l’étrange disparition de son ami…
À mon humble avis :
Ce premier roman contemporain d’Hamidou BAH est un réel succès qui mérite d’être lu, que l’on vive en Afrique ou pas. Le style d’écriture de l’auteur est très fluide. Les décors dakarois sont parfaitement posés. Le personnage de Thierno est extrêmement attachant.
L’auteur nous fait découvrir avec beaucoup de sagesse et d’humilité le quotidien des enfants de la rue au Sénégal en décrivant avec beaucoup de détails l’atmosphère qui règne dans certains daaras et dans la rue. Hamidou BAH nous invite à porter un regard plein de compassion sur cette jeunesse, communément appelée « talibé » au Sénégal.
« Se faire repousser ou traiter comme de la crotte de chien, c’était notre quotidien. De toute la misère qu’on endurait, c’était bien la chose à laquelle je m’étais jamais habitué après tant d’années de mendicité. Personne ne mérite d’être traité ainsi.» (P. 10-P.11)
Ce qui fait la différence :
L’intrigue et l’enquête autour de la disparition de Tanou sont menées d’une main de maître par l’auteur. Vous n’aurez pas le temps de vous ennuyer tellement l’histoire est pleine de rebondissements. Vous ferez également la connaissance de Monsieur Jacques Leblanc, un Français qui enquête depuis un certain temps sur de singulières disparitions d’enfants de la rue, à Dakar.
« Permets-moi de te présenter madame Vanessa Lecompte et monsieur Abdoulaye Faye, mes collègues. Moi, je suis Jacques Leblanc. Notre travail consiste à aider les enfants comme toi à avoir accès à un niveau de vie acceptable. Je parle de leur sécurité, leur santé, leur éducation. Je sais que tous les enfants n’en bénéficient pas encore, mais la tâche est ardue et nous faisons du mieux que nous pouvons. » (P.61)
Dès le titre de l’ouvrage, Hamidou BAH décide de s’attaquer à un sujet terriblement sensible : celui des enfants de la rue au Sénégal. Il met en lumière les conditions de vie insoutenables et inacceptables de ces milliers d’enfants qui errent souvent pieds nus dans les rues de Dakar, abandonnés de tous et à l’avenir plus que compromis. Des enfants qui ne sont ni soignés ni éduqués. Des enfants dont l’existence est totalement privée des mots « amour » et « compassion ». Mais Thierno a la foi, il prie chaque jour et se cache même pour apprendre à lire et à écrire les rudiments la langue française.
« Avant d’attaquer le dessert, j’ai prié : « Seigneur, Toi qui guides, Toi qui vois tout, protège-moi et guide-moi sur le chemin de la Vérité. Seigneur, merci d’avoir réalisé mon souhait de manger dans ce restaurant. » (P.77)
Et puis, avec Hamidou BAH, vous retrouvez également une thématique chère à l’auteur qu’il développera plus largement dans les romans qu’il écrira après La mystérieuse disparition du talibé. Il s’agit de l’occultisme et de la magie noire ! Jusqu’au bout du roman, vous serez surpris par les rebondissements autour de cette disparition. Mais, je ne vous en dirai pas plus…
Bravo à l’auteur et belle lecture à vous !
132 pages / mars 2018 / Aux Éditions de L’Harmattan Sénégal
Retrouvez également la chronique de La patte du mal sur le site internet.
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