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LA PLUS SECRÈTE MÉMOIRE DES HOMMES – Mohamed Mbougar SARR – Roman

Dernière mise à jour : 21 févr. 2022


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La plus secrète mémoire des hommes - Goncourt 2021

Où allons-nous ? En Afrique, en Europe, en Amérique latine


À quelle époque ? Du XXème au XXIème siècle


Venez, je vous raconte de quoi il est question :


Je vous avoue me lancer ici dans une aventure périlleuse en chroniquant cet ouvrage. Il n’est décemment pas imaginable de résumer La plus secrète mémoire des hommes tant ce roman est dense, riche, captivant, envoûtant ! Mais, je vais quand même essayer de vous donner un aperçu de ce qui vous attend aux côtés de la plume enchanteresse de Mbougar Sarr.


Diégane Latyr Faye est un jeune auteur d’origine sénégalaise, installé à Paris. Un jour, il découvre « Le labyrinthe de l’inhumain », un roman paru en 1938 et écrit par un certain T.C Elimane, surnommé à l’époque par les critiques littéraires : « Le Rimbaud Nègre », à cause de ses origines également sénégalaises. Diégane n’est pas séduit par l’ouvrage, mais littéralement envoûté par le style de l’auteur et son histoire personnelle. Et à partir de ce moment, il n’a plus qu’un seul objectif en tête : lever le voile sur la véritable identité d’Elimane.


« Elimane m’a enfoncé dans la Nuit. La facilité de son adieu au soleil me fascine. L’assomption de son ombre me fascine. Le mystère de sa destination m’obsède. Je ne sais pas pourquoi il s’est tu quand il avait encore tant à dire. Surtout, je souffre de ne pouvoir l’imiter. Croiser un silencieux, un vrai silencieux, interroge toujours le sens – la nécessité – de sa propre parole, dont on se demande soudain si elle n’est pas un emmerdant babil, de la boue de langage. Je vais fermer ma gueule et te suspendre ici, Journal. Les récits de l’Araignée-mère m’ont épuisé. Amsterdam m’a vidé. La route de solitude m’attend. »

(P.15-16)


À mon humble avis :


Je vous ai déjà parlé de Mohamed Mbougar Sarr, souvenez-vous lorsque j’ai chroniqué Terre Ceinte sur mon site, il y a quelques semaines. Et je vous avais dit : « Retenez bien ce nom, car il est loin d’avoir encore montré au monde de la littérature tout ce dont il est capable ». Eh bien, je soutiens à nouveau mes mots !


Il y a des livres que l’on prête volontiers à qui veut les lire. Celui-ci n’en fait pas partie. Pas qu’il soit comme le premier et unique roman d’Elimane un ouvrage introuvable, presque interdit, depuis des décennies. Mais parce qu’il appartient à une catégorie bien singulière, celle des romans qui ont le potentiel pour nous transporter littéralement et littérairement, au-delà du temps et des frontières civilisationnelles. Se séparer d’un tel livre, même quelques jours, reviendrait à poser un voile sur la destination inconnue effectué à ses côtés. Et à se perdre… La plus secrète mémoire des hommes se doit de demeurer dans un coin de ma bibliothèque, à portée de main, disponible à tout moment, car j’y reviendrai, c’est certain, comme Diégane avec la plume de T.C Elimane.


« Je n’avançais pas seulement dans le labyrinthe du parc, mais dans le labyrinthe de ma vie. Métaphore facile mais juste. Une pirogue droguée et perdue en pleine mer, suivant dans la nuit le tango que chantaient les sirènes insaisissables. Voilà ce qu’étaient ma triste vie : une vie d’Ulysse défoncée, mais une Ulysse sans retour, une Ulysse pour qui Ithaque est, ne peut être que la mer, et le chant des sirènes, et les ruses, et les larmes sous la pluie, et Cyclope, et la mer encore, la mer à jamais. » (P. 318)


La plus secrète mémoire des hommes (je serai tentée de rajouter « et des femmes ») est un voyage littéraire et spirituel unique. Mohamed Mbougar Sarr semble écrire comme il respire : un souffle intense, puis haletant, saccadé, comme son personnage, Diégane, qui doit choisir entre vivre l’amour ou faire l’amour. Une inspiration profonde entremêlée aux mémoires ancestrales et karmiques. Une expiration dense, au-delà des clivages du temps, entre chaos, mort, folie et renaissance.


Mais qu’est-ce que la mémoire, aussi profonde soit-elle, sans l’émotion ? Une ramification de plus au beau milieu d’un grand rien ! Et dans ce roman, l’émotion est le maître mot, c’est le fil d’Ariane, la corde sensible que Mbougar Sarr fait perpétuellement vibrer pour nous garder en éveil. Lisez plutôt :


« Toute révolution commence par le corps, et le corps d’Aïda est une ville qui se soulève, une ville en feu qui n’aura jamais de cendres, et j’y lutte, car la lutte élève l’homme et la cause ici en vaut la chandelle, j’y lutte, car rien n’est aussi beau que se battre dans une ville qu’on aime même quand on a l’impression de ne pas toujours la connaitre, mais c’est souvent parce qu’une ville a des secrets pour nous, toujours parce qu’elle nous offre la possibilité de nous perdre, qu’on l’aime en vérité et ceux qui disent cette ville n’a aucun secret pour moi, je la connais comme ma poche ou comme le ventre de ma mère, ceux-là disent autre chose que j’aime cette ville, mais moi j’aime cette ville-ci, car elle ne se livre pas tout à fait, elle se donne et s’arrache dans le même geste,

c’est une ville natale et étrangère […] ». (P.350-351)


Lorsque vous plongerez dans La plus secrète mémoire des hommes et ses 450 pages, croyez-moi, vous ne le lâcherez plus. Et lorsque vous arriverez à la fin de l’ouvrage, vous vous surprendrez à en vouloir encore. T. C. Elimane vous aura envouté. Et Mbougar Sarr, tel un magicien qui vous souffle au visage de la poussière de fée, se sera effacé pour laisser toute sa place légitime à Diégane, avant que vous n’ayez eu le temps de rouvrir les yeux.

Intrigant, mystique, brûlant, fascinant, ne sont là que quelques adjectifs succincts pour décrire cette œuvre qui contient tellement plus, tellement mieux !


Mbougar Sarr est un prestidigitateur, mais son roman n’a rien d’illusoire. Ses réflexions sont à la fois pertinentes, matérielles, philosophiques et déroutantes. Ce dernier roman est un chef-d’œuvre qui mérite largement une connaissance par des prix littéraires, mais plus important encore selon moi, une connaissance de la part d’un lectorat universel.


Belle lecture à vous et bravo à l’auteur !


448 pages / Aout 2021 / Aux éditions Philippe Rey


En 2021 : Prix Transfuge du meilleur roman de la langue française / Finaliste du Prix Femina / Première sélection du Prix Jean-Giono / Deuxième sélection Prix Renaudot / Deuxième sélection du Prix Goncourt / Première sélection du roman de l’Académie française


La chronique est également disponible sur le site Au-Plaisir-de-Lire.


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