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LES LUMIÈRES D’OUJDA – Marc Alexandre OHO BAMBE – Roman

Dernière mise à jour : 21 févr. 2022


les lumieres d oujda marc alexandre oho bambe
Les lumières d'Oujda

Où allons-nous ? En Italie, au Maroc, au Cameroun, au Liban, en Grèce, en France


À quelle époque ? Terriblement et poétiquement contemporaine


Venez, je vous raconte de quoi il est question :


Ma première pensée avant de débuter ce roman fut de me demander où pouvait bien se situer Oujda. Quant au très énigmatique bandeau qui illustre la couverture du livre et sur laquelle sont représentées des formes humaines dont on devine avec peine les contours du visage, il n’y avait pas plus d’indices à glaner que dans le titre. Ce qui m’a amené vers cet ouvrage, ce n’est ni le nom de l’auteur dont je découvre pour la première fois la plume dans Les lumières d’Oujda ni la thématique abordée dans le roman. Au départ, j'ai débuté ce roman car il fait partie des cinq finalistes sélectionnés pour le Prix des Afriques 2021 et décerné par La Cène Littéraire. Et quelle découverte !


Au début du roman, le narrateur (dont on ne connaîtra ni le nom ni l’âge) d’origine camerounaise vivote à Rome, « comme tous les extra-comunitare » dans la même situation clandestine que lui. Il s’amourache d’une Française, journaliste pour un magazine européen. Mais un soir, il est arrêté et emprisonné durant trois ans dans une geôle italienne. À sa sortie, il tente de retrouver son amour perdu. Mais Mélodie est repartie, et elle a tourné la page à la dolce vita ainsi qu’à son amant. Il décide alors de rentrer à Douala, auprès de sa grand-mère maternelle, celle qui l’a élevé après le décès de ses parents, à un an d’intervalle.


« Le gars a été rapatrié. C’était dur, au début, d’être moqué, en public ou dans mon dos, parce que mon aventure européenne avait mal tourné. Et que j’étais back, sans gloire aucune. Ni richesses. Matérielles. C’était dur au début. Vraiment. Dur de voir dans certains regards que les économies de ma grand-mère n’avaient servi à rien. Finalement. J’étais rentré. Enfin, non, je n’étais pas rentré. J’avais été rapatrié. Rapatrié. Une humiliation pour moi.» (P.35)


Au bout de quelques mois, et grâce à l’amour de Sita (sa grand-mère), il finit par ressortir de chez lui et à aller à la rencontre de nouvelles personnes. C’est ainsi qu’il fait la connaissance d’Aladji, et de Céline qui préside une association qui œuvre en Afrique et en Europe pour accompagner et venir en aide aux migrants. Rapidement, il s’engage à leurs côtés, participe aux regroupements d’associations dans différents pays, et notamment ceux avec le Maroc, à Oujda, où un prêtre catholique français a bâti une petite communauté qui aide les exilés d’Afrique à se reconstruire après leur longue traversée du désert ou de l’océan.


« Je m’étais engagé, je pouvais témoigner, je devais le faire, au nom de toutes celles et tous ceux qui n’avaient pas eu la même chance que moi. On m’avait peut-être rapatrié, mais j’étais vivant. J’allais de collège en collège, de lycée en lycée, de faculté en faculté, de ville en ville et village en village, pour raconter. Raconter. Ce que j’avais vécu. Ce que j’avais subi. Ce que j’avais appris, compris. » (P.38)


De prime abord, ce roman est assez déconcertant de par sa morphologie. Le texte est souvent scindé, les retours à la ligne y sont très nombreux. Peu de dialogue sont marqués de manière conventionnelle, mais à la différence de Fille Femme Autre (également en lice pour le Prix des Afriques 2021), j’ai trouvé que cet effet apportait un grand charme à l’ouvrage, ainsi qu’une dimension poétique merveilleuse !


Marc Alexandre Oho Bambe, dit Capitaine Alexandre, jongle avec les mots avec finesse, magie et harmonie du rythme. On y retrouve presque les calligrammes d’Apollinaire, les vers de Rimbaud et ceux d’Aimé Césaire à travers une poésie engagée lorsqu’il écrivait : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »


« Bonjour, mon frère, comment va ta douleur ? » Cette question a martelé mon cœur durant toute ma lecture !


Capitaine Alexandre se réapproprie le RAP qu’il nomme subtilement Réapprendre A Parler, ou encore Rien A Perdre. Entre haine et amour, les histoires de vies singulières aux parcours communs se télescopent au sein d’un texte mémorable. L’auteur-poète-conteur-slameur touche ici l’essence de l’âme dans son universalité.


De l’horreur des camps libyens et des « gardiens de la haine » aux plus grandes espérances dans la rue d’Acila à Oujda, en passant par Lesbos, ou encore Calais, Marc Alexandre Oho Bambe nous rappelle que « Dieu. S’il existe. N’a pas. N’a jamais eu. Le moindre pourvoir. Sur la violence. La violence. Des hommes. Qu’il aurait créés. Différents. »


Mais ce roman est aussi un hymne à l’amour, l’amour d’un poète pour une femme, l’amour pour son prochain, l’acceptation de la différence, le décloisonnement des frontières géographiques et psychologiques. Grâce à l'amour, l'autre devient son pays. Et « la mort n’arrête pas la vie ».


« Survivre est l’œuvre de l’Homme. Et encore plus, de l’Homme sans papier. Survivre. Au stress. Aux contrôles de faciès. Aux camps de rétention. Au rejet. À la xénophobie. Au racisme. À la haine. Et pis que tout, peut-être. À l’indifférence. Survivre est l’œuvre de l’Homme. Sans papiers. Survivre est l’œuvre de l’Homme. Sans papiers. Immigrés. Extra-comunitare. Nomade. » (P.280)


Et comme l’écrit si justement le poète sans papier : « Et je me dis que les gouvernements du Nord et du Sud n’y peuvent plus rien, les destinées de nos peuples sont liées intimement, et même enchaînées. Nous rêverons, ou nous crèverons. Ensemble. » (P.283)


Bravo à Capitaine Alexandre pour ce roman envoûtant, lyrique et criant d’humanité. Et belle future lecture à vous.


Nota Bene : Les lumières d’Oujda a remporté le Prix Littéraire des Rotary Club en 2020. Je lui souhaite grandement d’être le grand finaliste du Prix des Afriques 2021. À suivre !


327 pages / Aout 2020 / Éditions Calmann-Lévy


- Mise en jour de février 2022 : c'est finalement Fiston Mwanza Mujila avec "La danse du vilain" qui remporte le prix des Afriques 2021.


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