Si vous avez lu 1984, Le meilleur des mondes ou encore Fahrenheit 451, pour ne citer qu’eux, alors il est grand temps de découvrir l’auteur russe qui a su inspirer George Orwell, Aldous Huxley et Ray Bradbury.
« Aucun d’entre nous n’est « un », mais « un parmi ». Nous sommes si semblables… ». (P.20)
Nous (dont le titre original était Nous Autres), est un roman écrit et publié en russe depuis Paris en 1920. Suite à la censure stalinienne de son ouvrage, l’auteur s’exile à Paris à partir de 1931. Son roman est traduit en 1929, mais il faudra attendre 2017 pour que la maison d’édition française Actes Sud le republie depuis une traduction originale. C’est donc cette version de Nous que je vous propose de découvrir aujourd’hui.
Les chapitres sont rédigés sous la forme de notes personnelles écrites par D-503, au fil de ses pensées et émotions. Ah oui, j’ai oublié de préciser que les individus n’ont plus de nom, mais des numéros à la place. Chaque heure de la journée est minutieusement chronométrée par différentes activités groupées (principalement professionnelles et se rapprochant grandement du taylorisme).
« À pas comptés, en rangs par quatre, battant solennellement la mesure, les Numéros avançaient – des centaines, des milliers de Numéros dans leurs Tenues d’uniforme bleutés, la plaque dorée sur la poitrine – immatriculation officielle de chacun et de chacune. » (P. 18)
La notion de famille n’existe plus. Il est formellement déconseillé aux femmes de donner naissance naturellement (comprendre que c’est interdit). Les échanges charnels entre les individus de sexe opposé se résument à des créneaux durant lesquels, tous les deux jours minimum, ils peuvent avoir des relations avec un.e partenaire qui correspond au mieux à leur prédisposition génétique. Un ticket de rendez-vous est remis par un bureau étatique qui contrôle et réglemente les relations. Les habitants habitent une cité de verre et voient leur vie hottée au moindre écart de l’ordre préétabli. Les châtiments infligés aux récalcitrants et aux hésitants sont soudains et sans pitié.
Mais revenons-en à D-503, voulez-vous. Il travaille pour l’État Unitaire. C’est le constructeur de l’Intégrale, un vaisseau spatial qui a pour mission d’apporter le « bienheureux joug de la raison » et un « bonheur mathématique infaillible » aux civilisations extraterrestres. Notre héros, un mathématicien rationaliste, coule des jours heureux au sein de cette dictature. Pour lui, la logique mathématique et l’ordre sont des éléments indiscutables pour maintenir la paix et la sérénité de la cité. Tous les deux jours, il a des relations sexuelles avec O-90, une femme avec laquelle il est compatible. Il accomplit son travail pour l’État Unitaire avec beaucoup de sérieux. Il n’a qu’un seul ami (si on peut vraiment utiliser ce terme).
« Dans cent vingt jours, la construction de l’Intégrale sera achevée. Proche est l’heure historique où la première Intégrale s’élèvera dans l’espace Universel. Il y a mille ans, vos héroïques ancêtres ont soumis le monde entier au pouvoir de l’État Unitaire. Vous avez devant vous un exploit encore plus glorieux : la résolution de l’équation infinie de l’Univers grâce à l’Intégrale, cette machine électrique de verre qui souffle le feu. Vous êtes destinés à soumettre au joug bienfaisant de la raison des êtres inconnus qui habitent d’autres planètes et sont peut-être encore en état de liberté primitive. » (P. 14-15)
Bref, tout va bien dans le meilleur des mondes (permettez-moi de reprendre un autre titre) jusqu’à ce que I-330 rentre dans sa vie.
« À ma droite, elle est là, fine, dure, flexible et ferme comme une cravache, I-330 (je vois son nombre matricule) ; à ma gauche – O, si différente, toute en courbes, avec sa fossette enfantine au poignet ; et, tout au bout de notre rangée de quatre, un Numéro masculin que je ne connais pas, avec une double courbure, une sorte de S. Nous sommes tous différents… » (P.21)
On comprendra plus tard que cette rencontre avec I-330 est loin d’être le fruit du hasard, mais plutôt le grain de sable qui va faire dérayer la machine à certitude de notre narrateur.
« Cette femme avait produit sur moi un effet aussi désagréable qu’un nombre irrationnel qui se serait glissé dans une équation. » (P.22)
Pour avoir lu d’autres dystopies (dont certaines sont déjà chroniquées sur le site), il me semblait important de découvrir celle qui avait su nourrir l’imagination littéraire des auteurs réputés dans le domaine et dont le XXe siècle a retenu les noms. On y trouve beaucoup de similitudes, il faut l’avouer. D-503 entretient une relation cachée avec son nouvel amour en dehors des murs balisés de la cité (comme le fait Winston Smith avec Julia dans 1984). Il est interdit à O-90 de porter la vie en elle (comme c’est également le cas de Linda qui, abandonnée par son amant, met au monde son fils unique dans une réserve de « sauvages » dans Le Meilleur des Mondes). Je ne reprendrai pas ici la liste des points communs. Ce serait long et lassant. Pour autant, ce que je peux vous dire, c’est que j’ai de loin préféré les dystopies écrites après celle-ci. Peut-être est-ce dû à une rigidité arithmétique trop marquée pour moi, ou aux myriades de points de suspension présents dans le texte (je n’ai pas compris pourquoi l’auteur, ou la traductrice en avaient autant utilisé), ou tout simplement parce que je suis restée hermétique à une culture russe sous-jacente à Nous. J’ai cependant apprécié l’écriture de celui qui a su insuffler un nouveau courant littéraire au XXe siècle, à savoir Eugène Zamiatime.
234 pages / Nouvelle édition publiée chez Actes Sud en mars 2017
Retrouvez d'autres dystopies chroniquées sur le site: 1984, Le meilleur des mondes.
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